24/11/2009

Une nuit de novembre à Paris, pluie et embouteillages. De quoi mettre tout le monde sur un pied d’égalité : le public, comme l’artiste, est en retard au Trabendo. Tout rentre dans l’ordre vers neuf heures moins le quart, et c’est tant mieux, car ce soir, le blues n’attend pas.


Seasick Steve arrive sur scène comme on débarque de son chalutier ou comme on revient des champs : casquette vissée sur la caboche, et une vielle chemise dont il ne tardera pas à se défaire. Sous le marcel, les tatouages. Le sexagénaire américain à la carrière tardive, mais la barbe blanche bien fournie, est accompagné d’un bûcheron hippie aux longs cheveux d’argent presque aussi barbu que son comparse, dont le jeu de batterie ajoute encore au groove du bluesman. Face à ces deux jeunes hommes, un public de fans, gourmands, qui ne se gênent pas pour apostropher le vieux grigou qui le leur rend bien. Surtout quand celui-ci, entre deux morceaux, descend de grandes rasades de vin rouge à même la bouteille.


Photo : Florian Garcia


Assis sur sa vieille chaise de bois, ses amplis à porté de main, Steve ne tarde pas à mettre les deux pieds dans le blues, avec plus d’un riff à faire slider sous le bottleneck. Seasick fait alors défiler ses vieilles grattes pourries, certaines se résumant à un manche et quelques cordes, qu’il fait toutes sonner de la plus râpeuse manière qui soit. Jusqu’à ce diddley Bo, une simple planche de bois avec une corde clouée dessus mais qui arrache diablement. Son succès grandissant, il ne s’est payé ni guitare ni Ferrari, mais un tracteur !


Pour Walkin Man, le bluesman invite une demoiselle à venir s’asseoir près de lui pour lui jouer sa « love song ». Instant langoureux, mais la belle ne s’en laisse pas conter, et le vieux loup de mer charmeur en est quitte pour une tendre étreinte. Comme si ça ne suffisait pas, il accueille un peu plus tard la jeune Amy LaVere, qui prêtait sa voix au morceau caché de son dernier album, « Man From Another Time ». Après avoir partagé quelques gorgées de Whisky (elle non-plus ne se laisse pas faire), les deux se lancent dans un tête-à-tête intime où celle-ci lui renvoie une voix aussi douce et pure que la sienne est usée. Nouvelle étreinte. Bienheureux les saltimbanques !


Photo : Florian Garcia


Never Go West est l’occasion de jouer les conteurs et rappelle qu’il ne faut pas chuchoter lorsqu’il est temps de hurler… Chiggers est offert avec fougue et constitue, mine de rien, le manuel de survie contre ces saloperies de puces du Mississippi qui squattent vos chaussettes pour vous bouffer les jambes et y pondre leurs parasites de progéniture. Un conseil : remontez vos chaussettes jusqu’aux genoux (un message de Seasick Steve en association avec le ministère de la santé).


En rappel, c’est son histoire en guitare qu’il déroule, d’une enfance pas facile avant de tailler la route dès quatorze ans, et de fendre l’assistance de son Dog House Boogie, repris en chœur par la meute. Sur scène, Seasick Steve efface le poids de ses soixante-huit ans, pour toucher au blues le plus roots qui, lui, n’a pas d’âge, ou alors celui d’un bon vieux whisky.


Flavien.G


Lire aussi la chronique de « Man From Another Time » et le portrait de Seasick Steve sur rock-times.com, et voir les photos de son précédent concert à la Maroquinerie.


Setlist par Céline M. :

Cheap / Big Green And Yeller / Happy To Have A Job / That's All / Walking Man / Thunder Bird / I'm So Lonesome / Diddley Bo / Never Go West / Dark / Cut My Wings / Chiggers // Dog House


03/11/2009

Planquée à côté de la Cigale, là-bas dans le XVIIIème, la Boule Noire fêtait dignement cette fin de semaine avec une soirée organisée par le label et disquaire Born Bad. De quoi glaner ce que Paris compte de rockeurs purs et durs, mais aussi des jeunes filles en boots à l’hystérie sautillante.


Photo : Florian Garcia


Par ordre de passage, les Américains de Left Lane Cruiser sont la première partie désignée. Duo guitare-batterie qui n’est pas sans évoquer les Black Keys. Assis, à la guitare, Freddy « barbe rousse » Evans distille les plans blues comme du tord-boyaux des familles, le bottleneck vissé au petit doigt, et chante avec des lames de rasoir en travers de la gorge, à en perdre haleine. A côté de lui Brenn Beck l’imposant batteur martèle ses fûts et tâte ponctuellement de la washboard, accentuant le côté traditionnel de leur blues passé à la moulinette. Les chansons parlent de pork and beans et de skinny woman, en passant par une reprise râpeuse du Black Betty de Lead Belly, faisant passer celle de Ram Jam pour sophistiquée.


Photo : Florian Garcia


La suite tient de l’hallucination avec Jack Of Heart. Soit une espèce d'équivalent français putassier des Black Lips, en goguette et en expédition au Queen. Déboule en effet sur scène une bande d’allumés, bières sous le bras et guitares à la main, qui entame une chaotique et approximative balance face à quelques regards dubitatifs. Outre le batteur et ses leggings fuchsia, le moustachu chanteur a une improbable dégaine de Thomas Magnum sous substances qui aurait piqué les fringues de sa grand-mère : collants blanc et résilles sous le seyant petit short de jeans, colliers en cascade sur justaucorps de dentelle… Le teint est livide, l’œil brillant. D’autres lui trouvent une troublante ressemblance avec Patrick Dewaere, dont il partage visiblement l’insolence et un rapport distancié avec son corps comme avec l’environnement qui l’entoure. Celui-ci semble bien parti pour s’engager dans un bras de fer avec l’ingénieur du son qui demande vainement de baisser les guitares (« elles arrachent la gueule ? c'est cool »). La « performance » du groupe se poursuit dans un foutoir intégral, façon punk psychédélique. Ces quatre énergumènes s’épanouissent dans le bordel, travaillent le désordre, et le font foutrement bien.


Photo : Florian Garcia


Retour à la formule duo et à une scène plus maîtrisée, encore que… Les Bordelais de Magnetix donne dans le rock’n’roll assassin qui bastonne, l’immense Looch Vibrato à la guitare fuzz, et la mystérieuse Aggy Sonora derrière une batterie que d’aucun qualifierait de minimaliste. La décharge d’énergie et la violence du groupe mettent le parterre de spectateurs en branle et en transe. La salle sent la sueur et l’alcool. Sans répit le groupe enchaîne ses titres dans une complète urgence, piochant largement dans le dernier album « Positively Negative », y compris les titres en français Trop Tard et Mort Clinique, que Looch Vibrato crache à gorge déployée, comme un dément. Celui-ci s’escrime à larder sa guitare de fuzz et d’un trémolo en dents de scie sauteuse tandis que la batterie pulse avec une puissance phénoménale. Pour Living In A Box, le chanteur s’empare d’une vieille guitare demi-caisse défoncée qui va souffrir le martyr et finir suspendue à un spot pour lui servir de punching ball. De quoi mettre tout le monde KO.


Flavien.G



Setlist de Left Lane Cruiser servie sur un plateau par Céline M. :

Rollin' and tumblin' [Muddy Waters] / Wash It / Justify / Pork n' Beans / Set Me Down / Hard Luck / Skinny Woman [R.L. Burside] / Ol' Fashioned / Black Betty [Lead Belly] / Black Lung / Wild About You Baby [Hound Dog Taylor] / Hillgrass Bluebilly