13/03/2009


« Les Nuits de l’Alligator » : soit une sorte de festival itinérant américanophile, bluesophile, rockophile et folkophile (que Larousse pardonne ces barbarismes sur le -phile) ; ce festival, donc, a posé ce soir ses valises en croco dans une Maroquinerie qu’on ne présente plus, et en a sorti quelques belles trouvailles. Mais, faute de « tête d’affiche », (faute à la France aussi), la salle est loin d’atteindre ses quotas des grands soirs. N’empêche, ceux qui sont là ne le regretteront pas...


Horse Feathers – hum… « Plumes de Cheval », oui… Horse Feathers, venu de Portland, Oregon, entame la soirée dans une intimité folk feutrée et suspend le temps, les souffles et les regards des trop rares privilégiés présents dans la salle. Le chanteur et guitariste Justin Ringle est accompagné d’un jeune violoniste et d’une violoncelliste, aussi sobres que talentueux l’un que l’autre. Ces derniers assurent des arrangements tantôt aériens, tantôt tendus, pour contrebalancer la rugueuse guitare acoustique de Ringle, chef d’orchestre à droite de la scène. Sa voix est pure et cristalline, épaulée par les cordes et les chœurs, parcimonieux mais précieux, des deux autres. En bonus le temps d’une chanson, une scie remplace le violon, et l’archet en tire une complainte presque lyrique, discrète et fascinante. Certes, la formule a ses limites, mais certains morceaux sont vraiment très beaux, et ce trio pétrit brillamment les émotions tout en évitant les écueils inhérents à ce genre musical.


Elliott Brood. On avait déjà repéré l’album « Montain Meadows » que viennent de sortir ces trois Canadiens de Toronto, dans lequel ils revisitent l’Amérique et inventent la country du XXIème siècle, cinquante ans de rock’n’roll après. Véritable sensation de la soirée, le trio exécute les chansons du disque avec brio, et dépasse toutes les espérances, avec un supplément d’âme et d’humour bienvenu. Si l’on vous propose un whisky : il y a fort à parier qu’il soit frelaté, prohibition oblige, mais ne vous fiez pas à l’allure « années trente » et guitares acoustiques de ces trois-là. En réalité, l’énergie qu’ils dégagent est fantastique, vivifiante et communicative, et leurs guitares en bois en ont dans le moteur. Mark Sasso, le chanteur frisé au gilet ajusté, chante avec un timbre et une puissance qui le placent directement à la croisée des chemins de Bob Dylan et Kurt Cobain. Pour autant son acolyte guitariste Casey Laforet n’hésite pas à venir lui disputer le titre du cri le plus éraillé. Il faut dire que celui-ci est le guitariste assis le plus électrique et le plus atomique qui soit. Incapable de rester en place, courbé sur sa guitare dont le dos est orné de la figure solennelle de Geronimo l’Apache ; c’est lui qui, semble-t-il, est le plus extraverti de la bande et maîtrise le mieux le français canadien : entre chaque chanson, ses interventions flirtent avec l’absurde, et ses présentations – ou traductions – des titres déclenchent l’hilarité du public : il y est question par exemple d’un petit chat noir qui aurait des démêlés avec un raton-laveur… Derrière eux, Stephen Pitkin, bretelles et chapeau, assure la rythmique avec classe et désinvolture, là aux balais, ailleurs en couvrant sa caisse claire d’une cymbale pour un son de casserole inédit.


Photo : Florian Garcia


Les deux guitaristes se complètent parfaitement, invariablement en osmose, et les sonorités sont plus riches qu’un prospecteur de l’ouest. Sasso, à gauche ne tarde pas à troquer sa petite guitare américaine pour un banjo, alors qu’à droite, sur sa chaise, l’intenable Casey, chemise noire et cravate, s’occupe par ailleurs au pied (les chaussettes elles aussi sont noires), d’envoyer les basses sur un pédalier. Pas le temps de s’ennuyer que déjà ces messieurs s’emparent de petits ukulélés, continuant de s’égosiller sur des pépites aussi imparables que Fingers And Tongues ou Write It All Down For You (et les « hey hey hey » repris en chœur de zébrer l’assistance…). Pleins de fougue et de fraîcheur, terriblement attachants.


Photo : Florian Garcia


The War On Drugs. À entendre leur musique, on se dit que le patronyme War On Drugs n’est probablement qu’une insolente blague potache. Sans crier gare, la soirée bascule en effet dans un psychédélisme que ne renieraient pas Warlocks et Black Angels. Au centre le batteur est une espèce de Cro-Magnon qui nous rappelle que l’homme faisait des percussions avant même de maîtriser la parole, sans parler des ciseaux : sous sa longue chevelure noire et crépue, celui-ci arbore un faciès patibulaire, tout concentré qu’il est à rouler des baguettes ou des maracas sur les fûts et imprimer le rythme aux deux autres membres de la tribu.


Photo : Florian Garcia


A droite, le bassiste à lunettes, ressemble lui à un jeune et studieux étudiant, et n’abandonne ses lignes de basse au groove mélodique et répétitif que pour des stridences de wah-wah hurlante tirées d’une Stratocaster. Quant au chanteur, lui aussi descendant vocal du susnommé Dylan, il fait la pluie et le beau temps avec sa guitare acoustique 12-cordes, branchée dans une batterie d’effets la transformant en arme de destruction massive (enfin lorsque celle-ci est accordée, et dieu que c’est long à accorder 12 cordes !). Très occupé à réajuster la tonalité de son instrument, celui-ci compense par des boucles qui meublent les blancs et servent de liant pour laisser libre court à leur chevauchées lysergiques, sur un nombre d’accords souvent réduit, mais à l’effet garanti. Et libre à lui bien sûr de poser la guitare pour un clavier afin de repousser le planant encore un peu plus loin dans ses tranchées.


Photo : Florian Garcia


Quoique certainement trop confidentielle, et donc privée d’une suffisante visibilité et d’une audience à la hauteur de la qualité proposée, cette nuit de l’alligator a malgré tout joué son rôle de découvreuse de talents ; et ce plateau nord-américain aura prouvé, une fois encore, la dynamique retrouvée outre-Atlantique d’une musique à la fois aventureuse et décomplexée, sûre de ses bases et de ses racines. Amen.


F.G.


03/03/2009

16 février 2009, peu après 21 heures. Il est désormais clairement avéré que l’œil du démon est localisé aux environs de la place de la Bastille, et nous sommes en plein dedans : la tempête fait rage à la Mécanique Ondulatoire qui se transforme ce soir en succursale de l’enfer. Un bataillon de damnés s’est donc réuni secrètement comme pour une cérémonie vaudou (on aperçoit d’ailleurs un crâne en forme de cendrier), appâté par l’odeur du sang, de la sueur et par les deux albums des bien nommés Black Diamond Heavies : « Every Damn Time » et « A Touch Of Someone Else’s Class ».


Celui qui se fait appeler le « Reverent » James Leg monte sur la toute petite scène : silhouette longiligne, tout en noir, cheveux longs et moustache lui descendant jusqu’au menton ; accompagné de son acolyte de batteur barbu Van Campbell, en t-shirt et casquette de hockey. Avec leurs trognes de chauffeurs de trucks, ils ont un brin l’air de rebuts des bas-fonds d’une Amérique dangereuse et poisseuse.

Sans attendre, la bête féroce de leur boogie furieux est lâchée, jusqu’à faire vibrer chaque pierre de la cave confinée de ce sous-sol mécanique. Le batteur fait virevolter ses baguettes et roule sur ses fûts comme le tonnerre – à moins que ce ne soient les sabots de l’apocalypse –, syncope violente, puissance ahurissante et souplesse étonnante : une frappe sèche, vive, fouettée par d’agiles et désinvoltes poignets de guimauve. A ses côtés, les claviers sont mis à rude épreuve : tendu, cambré derrière ses instruments, James Leg se transforme en fauve, la Santiag prête à bondir sur les pédales fuzz, pour un son toujours plus crade, toujours plus crasseux, et enfonce ses mains jusqu’à la garde dans ses deux claviers superposés. Des mains aux veines saillantes, couvertes de bijoux apaches ou sioux, la gauche plaquant un groove de basses obsédantes sur un orgue Korg, la droite (celle du diable) griffant dans un Fender Rhodes antique, des mélodies tranchantes, mordantes et incisives. Leurs morceaux les plus addictifs et excitants, Take A Ride et Fever In My Blood en tête, déploient toute la force du duo dans un raffut infernal. Chantant d’une voix d’outre-tombe, comme biberonnée au whisky-clope, qui ferait passer Lemmy de Motörhead pour un enfant de chœur ; il secoue la tête comme un forcené, ses longs cheveux en travers de la gueule, comme si la sauvagerie était un concept suranné. La chemise noire finit par s’ouvrir sur des breloques et une boucle de ceinture à l’effigie de Ray Charles. Une touche de la classe d’un autre… Le tout s’achèvera dans la démence d’un medley de Nutbush City Limit et Guess You Gone And Fucked It All Up.


Le blues n’est plus alors qu’un zombie salace, enterré vivant, sur place, sous les voûtes ondulatoires, dont le salpêtre s’effrite bientôt à force de ces coups de boutoir, et se mélange au bois des baguettes qui martèlent à chaud le fer des fûts. Et pas une guitare en vue à l’heure de la messe : à n’y rien comprendre, encore qu’avec la magie noire…


F.G.



SETLIST par Céline M.

Might Be Right / Numbers 22 (Balaam's Wild Ass) / Make Some Time / Smoothe It Out / Take A Ride / Oh, Sinnerman / Bidin' My Time / Ain't Talking About Love (Van Halen) / Fever In My Blood / Poor Brown Sugar / Leave It In The Road / Nutbush City Limit / Guess You Gone And Fucked It All Up / + RAPPEL