23/06/2009


Qu’on se le dise, cette chronique ne sera pas le lieu pour épiloguer sur le sort du rock en France, ni sur l’hypothétique rôle de représentants d’une certaine « French décadence » que pourraient endosser John et Jehn à Londres, leur ville d’adoption lorsqu’ils ne sont pas sur la route.




Le mystère plane sur le déroulement de la soirée alors qu’on découvre que le couple a invité les dénommés Gemma Ray et Le Prince Miiaou à partager leur affiche. Plongeons dans les entrailles de la Maroquinerie – et dans l’inconnu donc… Derrière Le Prince Miiaou se cache une jeune et jolie demoiselle qui se lance dans le délicat exercice de la performance solo en auto-sampling. Construire un morceau seule, guitare en main et pieds sur l’enregistreur, en empilant gimmicks et harmonies de voix, est une gymnastique casse-gueule mais impressionnante, et elle s’en tire plutôt bien. Dès les premières secondes, le morceau Hawaiian Tree prend par surprise : « je te jetterai des cailloux » répète la boucle, puis l’intensité monte à n’en plus finir. Le personnage est intriguant, timide et caractériel à la fois… Cinq chansons plus tard, entre crispation et concentration, Le Prince Miiaou s’éclipse en courant, sous les applaudissements.


Vient alors le quintette anglais de Gemma Ray qui transpire le rock’n’roll fifties avec guitares slapback et tremolo. Un vortex s’ouvre sur l’Amérique de Nancy Sinatra, ambiance Tarantino et Cadillac, avec la belle chanteuse brune Gemma Ray, fleurie de la robe aux boucles d’oreilles, dans le rôle de meneuse avec sa guitare Harmony ancestrale. Autour d’elle, un marlou gominé joue du couteau sur sa Telecaster, et une choriste-percussionniste blonde à la coiffure un tantinet has-been qui soutient bassiste et batteur avec tambourin, shakers, et autres cabassas, avant de se saisir d’un stylophone, ce petit jouet au charme désuet. Le rock’n’roll n’est pas mort pour tout le monde…


Photo : Florian Garcia


Puis arrive l’heure de John & Jehn. Les deux amants jouent face à face et se partagent la scène en deux, séparés par l’orgue de madame. De son côté, John fait les cent pas, accroché à sa guitare (vintage forcément), silhouette élancée, visage creusé et une moustache qui lui donnent de faux airs de Fred Chichin, diront certains. La jeune Jehn, cambrée derrière son orgue noir retro, arbore robe noire et cheveux noirs coupés rétro, clin d’œil à Louise Brooks dont ils mettaient récemment un film en musique.

Si leur album est plein d’ombres et distille une certaine noirceur, celles-ci s’estompent sur scène à la lumière de leur bonne humeur et de leur énergie. Mais leur son est bien là, la guitare mordante et revêche, la basse puissante, percutante et saturée, l’orgue cheesy, la voix de Jehn capable de passer en un clin d’œil de la douleur au plaisir, de la gêne à la joie. Ravi d’être là, sur scène, le couple a manifestement gagné en assurance au fil des concerts. Les chansons sont revisitées avec un son plus ample, et le set s’est étoffé de nouveaux morceaux (le prometteur single Oh My Love ; Sunny Boy, très pop heighties)… Malgré la boîte à rythme, commandée par John, rien ne semble figé chez eux : on est loin, parfois, des versions d’origine, et les nouveaux titres s’aventurent vers des terrains encore jamais foulés par le duo.


Photo : Florian Garcia


Comme une évidence, Make You’re Mum Be Proud s’impose en morceau fort de leur répertoire, et l’on assiste à un duel à distance sans pitié, les yeux dans les yeux, à coups de basse et de guitare, petit jeu captivant à l’issue incertaine… De la place pour l’imprévu. En rappel, John revient en lunettes noires et Jehn en emprunte dans le public pour enfin offrir 20L07, visiblement attendu par beaucoup, et un Fear Fear Fear, qui s’allonge et prolonge le plaisir, avant de finir sur une reprise – ou plutôt réinterprétation – de Small Town Boy de Bronski Beat (choix surprenant, mais des madeleines de Proust on ne discute pas)… A voir leur potentiel, on se dit que John et Jehn ont encore certainement de belles choses devant eux. Et c’est tout ce qu’on leur souhaite.



Flavien.G



Setlist

I Can See You / 1,2,3 / Black Train / Oh My Love / Love Me / Sunny Boy / Lookin’ For You / Sister / Today / Make Your Mum Be Proud // Rappel : 20L07 / Fear Fear Fear / Small Town Boy.


15/06/2009

Neil Young, Paris, Le Zénith, 4 juin 2009


Incroyable. Un an seulement après son précédent passage, Neil Young est de retour à Paris. En 2008 au Grand Rex, deux soirs de suite, l’homme aux quarante années de carrière avait bluffé son public en interprétant seul, perdu au milieu de ses guitares, ses plus beaux titres folk, comme au premier jour, avant de revenir mettre le feu pour une seconde partie électrique, entouré de son groupe.


Ce soir Neil Young est au Zénith. Et la salle a fait le plein, bien entendu. A bientôt soixante-quatre ans, le Canadien est en pleine forme et semble désormais pouvoir échapper au temps (malgré l’embonpoint et les cheveux en moins), un peu comme Iggy, Mick et Keith, Paul… Il le prouvait encore tout récemment avec son nouveau disque, « Fork In The Road », dans lequel il se montre à fleur de peau, prêt à en découdre, préoccupé par une planète au bord de l’implosion. Pour l’occasion, le set est parfait, les morceaux piochés dans ses albums les plus marquants, de « Everybody Knows This Is Nowhere », « After The Gold Rush » et « Harvest », ses chefs-d’œuvre des débuts, aux récents « Chrome Dreams II » (Spirit Road) et « Fork In The Road » (Get Behind The Wheel) en passant pas « Ragged Glory ».


Cette fois-ci, il attaque d’entrée de jeu dans un déluge de décibels. Et frappe fort, ne tardant pas à jouer le paroxystique Hey Hey My My, dans une version de fin du monde, méchante à souhait, suivie d’Everybody Knows This Is Nowhere. En trois morceaux, la couleur est annoncée : Neil Young est venu offrir un grand moment. Couguar carnassier, sa grande carcasse courbée sur sa fidèle et indomptable Gibson Les Paul noire, il lui plante ses griffes à même le cou, et la fait hurler comme nul autre. Le son de la guitare est cataclysmique, nimbée d’un écho sidéral. Le Loner ressemble de plus en plus à un vieux sachem et entraîne tout le monde dans une expérience shamanique, extirpant de sa guitare les sons de l’univers. Feedback du Big Bang (et Big Bang de feedback). Et sa voix plane au-dessus, bien au-dessus, très haut, parfaitement intacte. Comme un vent de liberté soufflant dans le public, on voit ici et là s’élever des volutes de fumée… La foule fascinée hallucine, exulte à tout bout de chant.


A mi-course, il lève le pied et monte là-bas derrière, au fond de la scène, comme à une chaire d’église, pour interpréter, dans un silence religieux, un morceau sur un véritable orgue (un harmonium ?). Sur scène, c’est une fois de plus un fameux bordel d’amplis, d’instruments et de bibelots (le téléphone rouge). C’est l’heure de la cérémonie acoustique avec des morceaux aussi magnifiques que Don’t Let It Bring You Down, Old Man ou Heart Of Gold qui déclenchent l’ovation. Dualité de la légende folk et du rocker fauve. Pour toujours. Les possibilités du Neil semblent infinies. Car l’intermède ne dure pas, quitte à mettre encore un peu plus la gomme sur Rockin’ In A Free World qu’il n’en finit plus de faire repartir avec la complicité de son batteur, avant une apothéose de larsens apocalyptiques.


Comme si cela ne suffisait pas, le groupe revient achever le travail, dans un rappel tout aussi explosif et un fantastique hommage aux Beatles avec une reprise de A Day In The Life, sur laquelle il termine comme un dément, arrachant sauvagement les cordes de sa guitare. Au-dessus, quatre lettres restent illuminées : N E I L…



Flavien.G


05/06/2009


Étonnant, à l’heure d'écrire ces lignes, de se rendre compte que ce sont les premières concernant Dan Auerbach. C’est que l’individu a quelque chose de familier, après huit ans de Black Keys et cinq albums qui, inévitablement, construisent une histoire. Il aura fallu l’escapade en solo du guitariste, en parallèle de son duo majeur (et maître du blues mineur) pour l’évoquer enfin.



Parce que Dan Auerbach n’est pas n’importe qui. La voix et la guitare des Black Keys, Akron, Ohio. Pour beaucoup, le duo blues-rock, guitare-batterie, qu’il forme avec Patrick Carney a longtemps été considéré comme une sorte de pendant sombre des White Stripes. En plus rude, plus dur, moins glamour, plus méchant, plus buriné. Rien n’empêchant d’aimer les deux, pour ce qu’ils sont – et c’est assurément ce qu’il y a de mieux à faire. Ce qui est sûr, c’est que, comme les White Stripes, les Black Keys sont importants, qu’on se le dise. Et que, comme Jack White, Dan Auerbach est un stakhanoviste qui, lorsqu’il n’enregistre pas ses propres disques, chapeaute ceux des autres, au hasard Radio Moscow, ou Black Diamond Heavies. Brillamment s’entend. Mais la formule duo, si fascinante soit elle, a aussi ses limites et le voilà donc en « solo », c'est-à-dire avec qui il veut quand il veut (les potes, la famille). « Keep It Hid », sorti en février, est donc plus riche en instruments, plus varié en directions musicales… Et il fallait bien que tôt ou tard le disque se voit transposé sur scène. Et au Trabendo ce soir.


Pour l’occasion Auerbach s’est entouré de mercenaires mariachis et reconstitue, à sa manière, la chevauchée de la horde sauvage. Même avec la barbe et les cheveux coupés, Dan a quelque chose d’un cowboy (un garçon vacher), et se pose naturellement, sans esbroufe, en chef de bande, avec, comme il se doit, un beau ténébreux à la basse, un pistolero à la guitare, et trois gaillards plus ou moins velus dans le rôle des dynamiteurs de percussions, batteries (deux !) et orgue (italien, l’orgue). Ce sont les Fast Five, qui comptent dans leurs rangs des membres du groupe Hacienda (originaire du Kentucky, et produit par… Dan) ainsi que le batteur de My Morning Jacket. Dans le désordre, le bon, la brute, le truand et leurs cousins. Tous fringués plus ou moins à la sauce tex-mex. Et le hold-up est plutôt réussi…


Photo : Florian Garcia


Ici et là, les ballades (When The Night Comes, Goin' Home) sont autant de moments intimes qui dévoilent pudiquement l’étendue du registre et des capacités d’Auerbach, qui démarre le concert seul, religieusement, avec Trouble Weighs A Ton. Mais il faut surtout reconnaître la diabolique efficacité qu’il parvient à injecter dans les morceaux les plus enlevés, I Want Some More, Mean Monsoon ou Street Walkin’ en tête. Autour de lui, ça maracas la baraque, ça dodeline de la tête, ça se laisse emporter par le groove, par le groupe. Cohésion et vibrations collectives. Entouré de la sorte, le poids sur ses épaules est moindre : nul besoin de tenir les rennes à tout moment comme en duo, ou d’envoyer de la guitare non-stop façon artillerie lourde. Son jeu est ici plus rythmique, les solos distribués par petites salves. Il tire à bout portant de sa vieille Harmony Rocket américaine, des riffs forcément fuzz (on ne se refait pas), mais qui respirent au milieu des grands espaces que s’offre le groupe. Et que dire de sa voix ? Renversante, plus puissante et expressive que jamais.


Photo : Florian Garcia


Face à eux, si la salle souffre de la concurrence du soir (PJ Harvey au Bataclan, Ben Kweller à la Cigale), elle y gagne en densité de fidèles, qui renvoient une belle énergie. Quant à ceux qui découvrent, ils en sont quittes pour une belle surprise. A la sortie, point de tequila : guitares rengainées, Dan et les Fast Five s’en vont déjà dans la nuit. C’est leur boulot…


Flavien.G



Setlist par Céline M.

Trouble Weighs A Ton / I Want Some More / The Prowl / When I Left The Room / My Last Mistake / Mean Monsoon / Oh Carol, I'm So Sad [Rockin' Horse] / Real Desire / Money & Trouble / Street Walkin' / When The Night Comes / Whispered Words (Pretty Lies) / Heartbroken, In Disrepair / Keep It Hid / Inside Lookin'Out [The Animals]
Rappel : Goin' Home / Hidden Charms [Willie Dixon]