29/10/2009


Quatre mois après avoir dévasté la Cigale, The Dead Weather revient enflammer l’Olympia. Entre temps, l’album « Horehound » est sorti, a traumatisé bon nombre de tympans et mis une claque à plus d’un baffle. Si l’association de malfaiteurs Jack White/Alison Mosshart/Jack Lawrence/Dean Fertita faisait déjà saliver en juin dernier, aujourd’hui, le groupe est totalement énorme. Et ce soir, qui plus est, dans la mythique salle parisienne.


Chargés d’ouvrir le feu, les Belges Creature With The Atom Brain déroulent, à quatre, en rangs serrés, un rock psychédélique sinueux, agressif et violent. Guitares lourdes et acides, basse vrombissante et batteur à la frappe physique, le geste souple et puissant.


L’entrée en scène des Dead Weather est tonitruante, l’effet sur le public immédiat. Et le groupe n’en fera qu’une bouchée. Déjà la belle Alison mange l’auditoire qui la dévore des yeux et lui mange dans la main. 60 Feet Tall est une déflagration. Dès le premier solo de Dean Fertita, l’échelle de Richter n’est plus que le souvenir d’un escabeau pour lilliputien. Suit Hang You From The Heavens emmenée tambours battants par un White des grands soirs. Puis celui-ci s’approche sur le devant de la scène pour prendre tout le monde à rebrousse-poil : frisson garanti alors que Fertita et Lawrence lui tissent une toile blues rythmée du seul tambourin de Mosshart. La suite est tout aussi efficace. So Far From Your Weapon se transforme en cérémonie vaudou chantée par les quatre, exorcisée par la magie de Fertita au clavier. Plus loin, Bone House est atomisée dans une fureur inouïe. Le tout dans un light show épileptique bleu-nuit et blanc-lune. Entre les flashes lumineux, en toile de fond, l’immense logo à la plante horehound semble se muer en un subliminal crâne de quelque reine des ombres coiffée d’un diadème.


Photo : Florian Garcia


Véritable déesse démoniaque, Mosshart devient de plus en plus inquiétante à mesure (démesure) qu’elle repousse toutes les limites et crache ses textes. Nymphe fantasmagorique aux poses suggestives, perchée sur les retours, secouée de spasmes dans ses danses païennes désarticulées, son corps lui appartient-il encore ?


Photo : Florian Garcia


Lorsque Dean Fertita s’affaire sur son piano électrique et que Jack Lawrence balaie la batterie pour annoncer Will There Be Enough Water, on pourrait entendre le vent soulever la poussière ; mais Jack White vient dompter sa rugissante guitare sauvage, et chanter à deux cette complainte qui se change en typhon. Quant aux nouveaux morceaux – car ces messieurs-dames ne chôment pas – ils laissent présager du meilleur.


Photo : Florian Garcia


En rappel, après le I Cut Like A Buffalo du seigneur White, celui-ci laisse une boîte à rythme dicter le tempo pour rejoindre ses acolytes et déchaîner un peu plus l’électricité. Enfin, à l’image de son clip règlement de compte, Treat Me Like Your Mother fait l’effet d’un chargeur de mitraillette vidé dans le buffet. Les tripes remuées. Bien sûr, on aurait voulu plus encore. Car l’expérience est immense, historique. The Dead Weather n’est rien moins qu’un événement majeur dans le rock. Il est là, le son du XXIème siècle.


Flavien.G


Setlist par Céline M.

60 Feet Tall / Hang You From The Heavens / You Just Can't Win (Them) / So Far From Your Weapon / Forever My Queen (Pentagram) / Bone House / Jawbreaker (new song) / Rocking Horse / No Hassle Night / No Horse (new song) / New Pony / Will There Be Enough Water // Rappel : I Cut Like A Buffalo / I Can't Hear You (new song) / Treat Me Like Your Mother.


Voir aussi les photos et le live report du 29 juin à la Cigale à La Cigale et la chronique de « Horehound ».



23/10/2009

French night à la Maroquinerie. Yeti Lane d’abord, en mode folk électrique plutôt paisible, à deux voix, deux guitares. Avec leurs grattes sixties et leur dégaine - chemise de bûcheron / barbe / traits creusés -, les deux troubadours semblent redescendre du Népal. L’histoire ne dit pas s’ils y ont croisé le Yéti…


Et Jil Is Lucky alors ? Si leur album sorti en mars était une jolie surprise, leur prestation live en est une grosse. Les costumes de biomans religieux de leur surréaliste pochette (voir aussi leur magnifique clip à dos de poneys) sont restés au vestiaire, et les cinq musiciens, comme les doigts de la main, se présentent avec un certain chic. De sacrés musiciens qui forment une sacrée bonne main. Ces jeunes-là sont doués et ont visiblement travaillé dur pour bâtir des morceaux parfaitement en place et en même temps particulièrement vivants. Car l’énergie déployée sur scène donne une saveur nouvelle à ces chansons (à la trappe les trompettes), nettement plus rock. Si bien que le disque paraît déjà loin derrière eux, voire obsolète. Judah Loew’s Mistake se transforme ainsi en véritable morceau de bravoure et le single The Wanderer produit, bien sûr, son petit effet.


Jil Is Lucky


Derrière sa guitare acoustique, Jil le chanteur reste concentré sous son chapeau, nonchalant dans son chant, jouant plus ou moins de ces décrochages de voix dont on sent qu’il ferait volontiers sa signature. Presque réservé, il glisse tout de même deux ou trois remarques bien senties entre ses remerciements, histoire de cultiver le flegme de son personnage. Du haut de ses vingt-quatre ans, pas question de se prendre au sérieux, même s’il fait preuve d’un insolent talent, que ses compagnons magnifient d’arrangements savants : basse ronde et profonde, violoncelle rusé et tout terrain, guitare électrique discrète mais prête à bondir, batterie qui passe du chaloupé au grondement insatiable. A cela s’ajoute leurs harmonies vocales, auxquelles ils prennent visiblement un plaisir jubilatoire. Plus incroyable encore, l’assemblée semble envahie par un fan club conséquent, à moins que le groupe n’y ait carrément infiltré une chorale. Car non seulement ces demoiselles connaissent les paroles mais assurent les chœurs avec une précision surprenante. Impressionnant dans cette petite Maroquinerie ! La formation se permet de jouer avec les moments de tension intense et le dépouillement d’un duo guitare-violoncelle avant de repartir de plus belle et de finir sur une version jouissive du très stonien I May Be Late. Final en apothéose, après lequel il serait presque risqué de proposer un rappel digne de ce nom.


Mais la salle n’en démord pas, en veut plus, et le groupe revient offrir un générique de fin des grands soirs, où Hovering Machine devient une hallucinante jam rageuse et habitée qui fixe et cloue le public. Pas chien, Jil réapparaît de nouveau pour interpréter deux titres seul, à l’acoustique, comme à la maison… A ce rythme, s’ils continuent de prêcher ainsi l’évanJil (hum !), tout cela va finir par se savoir…


Flavien.G


19/10/2009

La soirée s’annonçait longue avec pas moins de trois groupes à l’affiche. Pour entrer dans le vif du sujet : The A-Bones, de New York. Le gang a tout l’air d’un de ces groupes plus très jeunes qui a dû rouler sa bosse dans tous les bouges crasseux d’Amérique. Conduits par le chanteur Billy Miller et une batteuse-hurleuse gantée de noir, guitariste et bassiste ne feignent pas, quitte à finir par terre, tandis que le sax ténor assure le lead…


Avec T-Model Ford, les choses prennent une tournure plus solennelle. A 89 ans, le bluesman du Mississippi arrive à petits pas, canne en main, s’assied à côté de son ampli où l’attend nonchalamment son verre de whisky (déconseillé par son médecin !), et libère rapidement les vibrations du blues électrique marécageux de sa génération perdue. Si ses doigts semblent effleurer les cordes, c’est un son brut et tendu qui s’en échappe, diaboliquement rythmique. Minimaliste, il est accompagné de la puissante pulsation d’un jeune batteur dont la barbe et la casquette de révolutionnaire cubain ne cachent rien de son dévouement et de son bonheur d’accompagner une légende de trois fois son aînée. L’œil rieur, T-Model Ford semble défier la foule, genre « je vous enterrerai tous ». « I’m a ladies’ man » dit-il dragueur en plongeant dans les yeux des demoiselles du premier rang qu’il tente d’ensorceler par ses blues en mi mineur tournant et tournant encore jusqu’à l’hypnose.


Photo : Florian Garcia


Puis c’est la tornade Heavy Trash, emmenée par le charismatique et tourbillonnant Jon Spencer, qui catalyse la moiteur ambiante et électrise l’assistance. Esprit 100% rock’n’roll fifties et sueur punk, costards ajustés, cheveux gominés et contrebassiste chapeauté. Tel un pantin azimuté derrière sa guitare acoustique chevillée au corps, le performer Spencer dévore son micro pour mieux faire vibrer les infra basses et, bien sûr, les cœurs et les corps. l’individu maîtrise à merveille tous les ressorts du rockabilly dont il use et abuse, du hoquet sexy suraigu au chevrotement elvisien. Théâtral et joueur, cristallisant l’attention, hurlant comme un possédé, il semble toujours à la limite, en transe, prêcheur fou aux yeux exorbités, à base d’incontournables « let me here say yeah ! ». L’évangile selon Jon Spencer : « I wanna know what’s in a woman’s mind »…



Photo : Florian Garcia


A côté de lui, son acolyte Matt Verta-Ray fait pleuvoir riffs et solos sur sa Gibson archtop couleur d’or, tandis que leurs batteur et contrebassiste assurent leurs arrières avec finesse et assurance. Plus qu’un projet parallèle rétro et défouloir de Spencer et Verta-Ray, Heavy Trash apparaît surtout comme une entité où le plaisir guide la musique. Il n’y a qu’à voir le contrebassiste Simon, visiblement ravi de partager ce moment, se marrer et pousser les chœurs sans la moindre retenue. Les « standards » du groupe sont ainsi envoyés toutes sirènes dehors à l’instar de Justine Alright, auxquels viennent s’ajouter les morceaux du nouvel album : Bumble Bee, Gee, I Really Love You, Isolation, That's What Your Love Gets, ou encore Good Man chanté par Matt. Tout cela est sèchement noyé d’une reverb slapback caverneuse, qui s’affole quand viennent s’entrechoquer les cris, les accents du batteur et la guitare de Verta-Ray.




Lorsqu’on y pense, on se dit que, tout de même, il y a cinquante ans, la bienpensante pudibonderie devait bel et bien s’arracher les cheveux et tomber en syncope à la vue de pareils énergumènes et face à tant de sauvagerie, de corps et de paroles explicites… Car le rock’n’roll est un choc.



Flavien.G