21/08/2008


Comment vous dire ? En fin de compte, tout est dans le titre. Mais bon sang, Lou Reed ! « Berlin » ! Y a quelqu’un ? 1973-2006 : 33 ans d’un vide intersidéral, un chef-d’œuvre absolu jamais joué sur scène. Jusqu’à cette providentielle résurrection, à Brooklyn, en décembre 2006. Depuis, il y a eu la tournée et son passage au Palais des Congrès en 2007 que beaucoup avaient manqué, et puis le film qu’en a tiré Schnabel, sorti dans quelques cinémas en mars dernier, mais cette fois-ci on y est, pour de vrai, salle Pleyel : du rock païen et décadent dans un sanctuaire du classique. En pénétrant ce vaisseau musical flambant neuf, l’auditeur est accueilli comme il se doit avec Like A Possum en toile sonore, morceau de bravoure guitaristique de l’album « Ecstasy », qui constitue une parfaite mise en condition, sur fond de mer déchaînée projetée sur le rideau blanc devant lequel trônent les amplis.


Mais c’est avec l’intro de piano que s’ouvre véritablement le bal, projetant instantanément le public dans Berlin. Le maître de cérémonie arbore une fois de plus une improbable guitare, toute de métal, à la forme hideuse et l’effet miroir. Mais il en tire, à chaque effleurement, d’imparables coups de tonnerre. « It was very nice »… A peine le temps d’enfourcher sa Telecaster et c’est Lady Day qui résonne, foudroyant, et ces coups de guitare qui transpercent le cœur, jusqu’aux larmes. C’est trop beau, trop fort, pour être vrai…

Et pourtant, les titres de l’album s’enchaînent, tel qu’il se doit, les uns après les autres, comme une évidence. Men Of Good Fortune, à la guitare acoustique, s’étoffe progressivement, et, sur la droite de la scène, une plantureuse choriste, toute de noir vêtue, vient donner de la voix, puissante et écorchée comme il faut... Suit Caroline Says I, au cours de laquelle Lou Reed se lance dans un lancinant combat de guitares avec Steve Hunter, appliqué, sous son bonnet vert, à tirer de son instrument des riffs lumineux et stratosphériques. Il n’en faut pas plus pour que tout le monde se jette à corps perdu dans un épique How Do You Think It Feels, au final apocalyptique.

Tony Smith, fidèle batteur, toujours aussi enthousiaste, fait alors retentir l’intro de Oh Jim !, et Reed décide de s’offrir un moment en suspens, une trêve, intime dialogue entre sa guitare, celle de Hunter et la très organique contrebasse électrique de Fernando Saunders. Caroline Says II se voit ensuite habillée de cordes chaudes et enveloppantes, et Caroline est froide comme l’Alaska...

The Kids est une lente montée du désespoir, « they’re taking her children away », jusqu’aux terribles sanglots des mômes de Bob Ezrin qui, 35 ans après leur enregistrement, donnent toujours cet irrépressible frisson, à vous mettre sens dessus dessous. A ce stade, on frise la surchauffe sous la chevelure fournie du petit reporter, tout accaparé qu’est son hémisphère gauche à n’en perdre aucune miette, tandis que son cerveau droit se répand en une intense jouissance par tous les canaux lacrymaux. Dans The Bed, Reed joue la carte du contraste entre la dureté de ses mots et la pureté des chœurs. Et comme si ça ne suffisait pas, l’intensité va encore redoubler, jusqu’à l’insoutenable, sur le final Sad Song qui atteint des sommets insoupçonnés.


C’est comme si l’on entendait « Berlin » pour la première fois, redécouvrant de plein fouet la noirceur et la dureté de ce joyau brut. Bien que terrassé, le public offre en retour une standing ovation et restera debout tout au long du rappel, libérant avec soulagement toute la tension, l’énergie et le souffle retenus, après le passage de cet orage magnétique à l’atmosphère lourde et suffocante. Les chœurs de Satellite Of Love sont accueillis avec un plaisir non dissimulé, comme un indispensable pallier de décompression pour sortir de cette plongée en apnée dans l’enfer de Caroline et Jim, dont nul ne ressortira indemne...


F.G.

0 Comments:

Post a Comment