15/12/2009

Les Raveonettes ont leurs émules dirait-on. Il n’y a qu’à voir la file qui se presse devant la Flèche d’Or et le parterre compact et nonobstant bigarré venu les accueillir. Les portent tardent à s'ouvrir et alors qu’on investit les lieux, les Toxic Sonic et Idol de l’affiche ont semble-t-il déjà fait leur office.


Rodeo Massacre entre en scène, étonnante réunion d’une chanteuse hippie sixties blonde chapeautée tambourinant avec une voix de lapin blanc dans une ample chemise blanche immaculée, d’un guitariste chevelu estampillé seventies jusque dans le cuir et la Gibson SG Custom blanche immaculée aussi, s’octroyant le rôle de batteur qu’il assume avec chacun de ses pieds (respectivement) et d’un proto-dandy décadent au grand front à l’allure peu ou prou post-punk – ou new wave c’est selon – se chargeant de l’orgue, de la basse, et tout ça… En gros. Et notez que cette phrase en dit long… Assurément, ils ne font pas semblant et ont des atouts certains, reste à savoir s’il y a véritablement matière à leur prophétiser un avenir (qui parlera pour eux, ou pas).


A leur suite, les Raveonettes, en guise de clou. Et sur scène le duo danois joue à quatre. Un compagnon gothique est le préposé batteur, debout derrière un fût et une caisse claire genre « Moe Tucker m’a tout appris, c’est la classe ». Quant au bassiste, on jurerait avoir vu son tarin et sa moustache au coin d’une rue dans une BD de Jacques Tardi, et, dépourvu de charisme, celui-ci n’est pas près de leur voler la vedette, loin s’en faut. D’autant qu’au centre de la scène, Sharin Foo illumine avec détachement et captive les regards de sa froide beauté scandinave à rendre fou. A côté d’elle, son acolyte Sune Rose Wagner pilote l’affaire, coincé qu’il est dans sa silhouette adolescente en tunique rayée noir et blanc, rejeton poupon de Robert Smith, au double menton naissant.


Les Raveonettes opèrent tous deux sur Jazzmaster (l’indispensable guitare noise, celle des Sonic Youth) avec un niveau de reverb dantesque et un taux de distorsion somme toute raisonnable quand on sait le son sale dont ils sont capables. Les nouveaux titres popisants passent plutôt bien l’épreuve du live, en particulier Boys Who Rape (Should All Be Destroyed), qui a par ailleurs le mérite de clore le débat sur la castration chimique. Mais ce sont les anciennes chansons qui demeurent les plus marquantes, Aly, Walk With Me, sombre et salement noisy, Love In A Trashcan… Et quand une guitare souffre de désaccordage, Sune puis Sharin se relaient en solo pour y aller chacun de sa chansonnette hachée trémolo, lui de sa voix androgyne, elle sensuelle, qui finit de chavirer les cœurs avec Oh, I Buried You Today. Eloge des grandes blondes sur talons à strass. Plus d’un se damneraient pour la Danoise.


Les Raveonettes auront livré une prestation somme toute très honnête, mais l’on sent que le duo a les moyens de rendre les choses encore plus grinçantes et viciées. Pour le reste leur talent pour parler de la mort en pop et de l’amour en poubelle n’est plus à prouver.


Flavien.G



24/11/2009

Une nuit de novembre à Paris, pluie et embouteillages. De quoi mettre tout le monde sur un pied d’égalité : le public, comme l’artiste, est en retard au Trabendo. Tout rentre dans l’ordre vers neuf heures moins le quart, et c’est tant mieux, car ce soir, le blues n’attend pas.


Seasick Steve arrive sur scène comme on débarque de son chalutier ou comme on revient des champs : casquette vissée sur la caboche, et une vielle chemise dont il ne tardera pas à se défaire. Sous le marcel, les tatouages. Le sexagénaire américain à la carrière tardive, mais la barbe blanche bien fournie, est accompagné d’un bûcheron hippie aux longs cheveux d’argent presque aussi barbu que son comparse, dont le jeu de batterie ajoute encore au groove du bluesman. Face à ces deux jeunes hommes, un public de fans, gourmands, qui ne se gênent pas pour apostropher le vieux grigou qui le leur rend bien. Surtout quand celui-ci, entre deux morceaux, descend de grandes rasades de vin rouge à même la bouteille.


Photo : Florian Garcia


Assis sur sa vieille chaise de bois, ses amplis à porté de main, Steve ne tarde pas à mettre les deux pieds dans le blues, avec plus d’un riff à faire slider sous le bottleneck. Seasick fait alors défiler ses vieilles grattes pourries, certaines se résumant à un manche et quelques cordes, qu’il fait toutes sonner de la plus râpeuse manière qui soit. Jusqu’à ce diddley Bo, une simple planche de bois avec une corde clouée dessus mais qui arrache diablement. Son succès grandissant, il ne s’est payé ni guitare ni Ferrari, mais un tracteur !


Pour Walkin Man, le bluesman invite une demoiselle à venir s’asseoir près de lui pour lui jouer sa « love song ». Instant langoureux, mais la belle ne s’en laisse pas conter, et le vieux loup de mer charmeur en est quitte pour une tendre étreinte. Comme si ça ne suffisait pas, il accueille un peu plus tard la jeune Amy LaVere, qui prêtait sa voix au morceau caché de son dernier album, « Man From Another Time ». Après avoir partagé quelques gorgées de Whisky (elle non-plus ne se laisse pas faire), les deux se lancent dans un tête-à-tête intime où celle-ci lui renvoie une voix aussi douce et pure que la sienne est usée. Nouvelle étreinte. Bienheureux les saltimbanques !


Photo : Florian Garcia


Never Go West est l’occasion de jouer les conteurs et rappelle qu’il ne faut pas chuchoter lorsqu’il est temps de hurler… Chiggers est offert avec fougue et constitue, mine de rien, le manuel de survie contre ces saloperies de puces du Mississippi qui squattent vos chaussettes pour vous bouffer les jambes et y pondre leurs parasites de progéniture. Un conseil : remontez vos chaussettes jusqu’aux genoux (un message de Seasick Steve en association avec le ministère de la santé).


En rappel, c’est son histoire en guitare qu’il déroule, d’une enfance pas facile avant de tailler la route dès quatorze ans, et de fendre l’assistance de son Dog House Boogie, repris en chœur par la meute. Sur scène, Seasick Steve efface le poids de ses soixante-huit ans, pour toucher au blues le plus roots qui, lui, n’a pas d’âge, ou alors celui d’un bon vieux whisky.


Flavien.G


Lire aussi la chronique de « Man From Another Time » et le portrait de Seasick Steve sur rock-times.com, et voir les photos de son précédent concert à la Maroquinerie.


Setlist par Céline M. :

Cheap / Big Green And Yeller / Happy To Have A Job / That's All / Walking Man / Thunder Bird / I'm So Lonesome / Diddley Bo / Never Go West / Dark / Cut My Wings / Chiggers // Dog House


03/11/2009

Planquée à côté de la Cigale, là-bas dans le XVIIIème, la Boule Noire fêtait dignement cette fin de semaine avec une soirée organisée par le label et disquaire Born Bad. De quoi glaner ce que Paris compte de rockeurs purs et durs, mais aussi des jeunes filles en boots à l’hystérie sautillante.


Photo : Florian Garcia


Par ordre de passage, les Américains de Left Lane Cruiser sont la première partie désignée. Duo guitare-batterie qui n’est pas sans évoquer les Black Keys. Assis, à la guitare, Freddy « barbe rousse » Evans distille les plans blues comme du tord-boyaux des familles, le bottleneck vissé au petit doigt, et chante avec des lames de rasoir en travers de la gorge, à en perdre haleine. A côté de lui Brenn Beck l’imposant batteur martèle ses fûts et tâte ponctuellement de la washboard, accentuant le côté traditionnel de leur blues passé à la moulinette. Les chansons parlent de pork and beans et de skinny woman, en passant par une reprise râpeuse du Black Betty de Lead Belly, faisant passer celle de Ram Jam pour sophistiquée.


Photo : Florian Garcia


La suite tient de l’hallucination avec Jack Of Heart. Soit une espèce d'équivalent français putassier des Black Lips, en goguette et en expédition au Queen. Déboule en effet sur scène une bande d’allumés, bières sous le bras et guitares à la main, qui entame une chaotique et approximative balance face à quelques regards dubitatifs. Outre le batteur et ses leggings fuchsia, le moustachu chanteur a une improbable dégaine de Thomas Magnum sous substances qui aurait piqué les fringues de sa grand-mère : collants blanc et résilles sous le seyant petit short de jeans, colliers en cascade sur justaucorps de dentelle… Le teint est livide, l’œil brillant. D’autres lui trouvent une troublante ressemblance avec Patrick Dewaere, dont il partage visiblement l’insolence et un rapport distancié avec son corps comme avec l’environnement qui l’entoure. Celui-ci semble bien parti pour s’engager dans un bras de fer avec l’ingénieur du son qui demande vainement de baisser les guitares (« elles arrachent la gueule ? c'est cool »). La « performance » du groupe se poursuit dans un foutoir intégral, façon punk psychédélique. Ces quatre énergumènes s’épanouissent dans le bordel, travaillent le désordre, et le font foutrement bien.


Photo : Florian Garcia


Retour à la formule duo et à une scène plus maîtrisée, encore que… Les Bordelais de Magnetix donne dans le rock’n’roll assassin qui bastonne, l’immense Looch Vibrato à la guitare fuzz, et la mystérieuse Aggy Sonora derrière une batterie que d’aucun qualifierait de minimaliste. La décharge d’énergie et la violence du groupe mettent le parterre de spectateurs en branle et en transe. La salle sent la sueur et l’alcool. Sans répit le groupe enchaîne ses titres dans une complète urgence, piochant largement dans le dernier album « Positively Negative », y compris les titres en français Trop Tard et Mort Clinique, que Looch Vibrato crache à gorge déployée, comme un dément. Celui-ci s’escrime à larder sa guitare de fuzz et d’un trémolo en dents de scie sauteuse tandis que la batterie pulse avec une puissance phénoménale. Pour Living In A Box, le chanteur s’empare d’une vieille guitare demi-caisse défoncée qui va souffrir le martyr et finir suspendue à un spot pour lui servir de punching ball. De quoi mettre tout le monde KO.


Flavien.G



Setlist de Left Lane Cruiser servie sur un plateau par Céline M. :

Rollin' and tumblin' [Muddy Waters] / Wash It / Justify / Pork n' Beans / Set Me Down / Hard Luck / Skinny Woman [R.L. Burside] / Ol' Fashioned / Black Betty [Lead Belly] / Black Lung / Wild About You Baby [Hound Dog Taylor] / Hillgrass Bluebilly


29/10/2009


Quatre mois après avoir dévasté la Cigale, The Dead Weather revient enflammer l’Olympia. Entre temps, l’album « Horehound » est sorti, a traumatisé bon nombre de tympans et mis une claque à plus d’un baffle. Si l’association de malfaiteurs Jack White/Alison Mosshart/Jack Lawrence/Dean Fertita faisait déjà saliver en juin dernier, aujourd’hui, le groupe est totalement énorme. Et ce soir, qui plus est, dans la mythique salle parisienne.


Chargés d’ouvrir le feu, les Belges Creature With The Atom Brain déroulent, à quatre, en rangs serrés, un rock psychédélique sinueux, agressif et violent. Guitares lourdes et acides, basse vrombissante et batteur à la frappe physique, le geste souple et puissant.


L’entrée en scène des Dead Weather est tonitruante, l’effet sur le public immédiat. Et le groupe n’en fera qu’une bouchée. Déjà la belle Alison mange l’auditoire qui la dévore des yeux et lui mange dans la main. 60 Feet Tall est une déflagration. Dès le premier solo de Dean Fertita, l’échelle de Richter n’est plus que le souvenir d’un escabeau pour lilliputien. Suit Hang You From The Heavens emmenée tambours battants par un White des grands soirs. Puis celui-ci s’approche sur le devant de la scène pour prendre tout le monde à rebrousse-poil : frisson garanti alors que Fertita et Lawrence lui tissent une toile blues rythmée du seul tambourin de Mosshart. La suite est tout aussi efficace. So Far From Your Weapon se transforme en cérémonie vaudou chantée par les quatre, exorcisée par la magie de Fertita au clavier. Plus loin, Bone House est atomisée dans une fureur inouïe. Le tout dans un light show épileptique bleu-nuit et blanc-lune. Entre les flashes lumineux, en toile de fond, l’immense logo à la plante horehound semble se muer en un subliminal crâne de quelque reine des ombres coiffée d’un diadème.


Photo : Florian Garcia


Véritable déesse démoniaque, Mosshart devient de plus en plus inquiétante à mesure (démesure) qu’elle repousse toutes les limites et crache ses textes. Nymphe fantasmagorique aux poses suggestives, perchée sur les retours, secouée de spasmes dans ses danses païennes désarticulées, son corps lui appartient-il encore ?


Photo : Florian Garcia


Lorsque Dean Fertita s’affaire sur son piano électrique et que Jack Lawrence balaie la batterie pour annoncer Will There Be Enough Water, on pourrait entendre le vent soulever la poussière ; mais Jack White vient dompter sa rugissante guitare sauvage, et chanter à deux cette complainte qui se change en typhon. Quant aux nouveaux morceaux – car ces messieurs-dames ne chôment pas – ils laissent présager du meilleur.


Photo : Florian Garcia


En rappel, après le I Cut Like A Buffalo du seigneur White, celui-ci laisse une boîte à rythme dicter le tempo pour rejoindre ses acolytes et déchaîner un peu plus l’électricité. Enfin, à l’image de son clip règlement de compte, Treat Me Like Your Mother fait l’effet d’un chargeur de mitraillette vidé dans le buffet. Les tripes remuées. Bien sûr, on aurait voulu plus encore. Car l’expérience est immense, historique. The Dead Weather n’est rien moins qu’un événement majeur dans le rock. Il est là, le son du XXIème siècle.


Flavien.G


Setlist par Céline M.

60 Feet Tall / Hang You From The Heavens / You Just Can't Win (Them) / So Far From Your Weapon / Forever My Queen (Pentagram) / Bone House / Jawbreaker (new song) / Rocking Horse / No Hassle Night / No Horse (new song) / New Pony / Will There Be Enough Water // Rappel : I Cut Like A Buffalo / I Can't Hear You (new song) / Treat Me Like Your Mother.


Voir aussi les photos et le live report du 29 juin à la Cigale à La Cigale et la chronique de « Horehound ».



23/10/2009

French night à la Maroquinerie. Yeti Lane d’abord, en mode folk électrique plutôt paisible, à deux voix, deux guitares. Avec leurs grattes sixties et leur dégaine - chemise de bûcheron / barbe / traits creusés -, les deux troubadours semblent redescendre du Népal. L’histoire ne dit pas s’ils y ont croisé le Yéti…


Et Jil Is Lucky alors ? Si leur album sorti en mars était une jolie surprise, leur prestation live en est une grosse. Les costumes de biomans religieux de leur surréaliste pochette (voir aussi leur magnifique clip à dos de poneys) sont restés au vestiaire, et les cinq musiciens, comme les doigts de la main, se présentent avec un certain chic. De sacrés musiciens qui forment une sacrée bonne main. Ces jeunes-là sont doués et ont visiblement travaillé dur pour bâtir des morceaux parfaitement en place et en même temps particulièrement vivants. Car l’énergie déployée sur scène donne une saveur nouvelle à ces chansons (à la trappe les trompettes), nettement plus rock. Si bien que le disque paraît déjà loin derrière eux, voire obsolète. Judah Loew’s Mistake se transforme ainsi en véritable morceau de bravoure et le single The Wanderer produit, bien sûr, son petit effet.


Jil Is Lucky


Derrière sa guitare acoustique, Jil le chanteur reste concentré sous son chapeau, nonchalant dans son chant, jouant plus ou moins de ces décrochages de voix dont on sent qu’il ferait volontiers sa signature. Presque réservé, il glisse tout de même deux ou trois remarques bien senties entre ses remerciements, histoire de cultiver le flegme de son personnage. Du haut de ses vingt-quatre ans, pas question de se prendre au sérieux, même s’il fait preuve d’un insolent talent, que ses compagnons magnifient d’arrangements savants : basse ronde et profonde, violoncelle rusé et tout terrain, guitare électrique discrète mais prête à bondir, batterie qui passe du chaloupé au grondement insatiable. A cela s’ajoute leurs harmonies vocales, auxquelles ils prennent visiblement un plaisir jubilatoire. Plus incroyable encore, l’assemblée semble envahie par un fan club conséquent, à moins que le groupe n’y ait carrément infiltré une chorale. Car non seulement ces demoiselles connaissent les paroles mais assurent les chœurs avec une précision surprenante. Impressionnant dans cette petite Maroquinerie ! La formation se permet de jouer avec les moments de tension intense et le dépouillement d’un duo guitare-violoncelle avant de repartir de plus belle et de finir sur une version jouissive du très stonien I May Be Late. Final en apothéose, après lequel il serait presque risqué de proposer un rappel digne de ce nom.


Mais la salle n’en démord pas, en veut plus, et le groupe revient offrir un générique de fin des grands soirs, où Hovering Machine devient une hallucinante jam rageuse et habitée qui fixe et cloue le public. Pas chien, Jil réapparaît de nouveau pour interpréter deux titres seul, à l’acoustique, comme à la maison… A ce rythme, s’ils continuent de prêcher ainsi l’évanJil (hum !), tout cela va finir par se savoir…


Flavien.G


19/10/2009

La soirée s’annonçait longue avec pas moins de trois groupes à l’affiche. Pour entrer dans le vif du sujet : The A-Bones, de New York. Le gang a tout l’air d’un de ces groupes plus très jeunes qui a dû rouler sa bosse dans tous les bouges crasseux d’Amérique. Conduits par le chanteur Billy Miller et une batteuse-hurleuse gantée de noir, guitariste et bassiste ne feignent pas, quitte à finir par terre, tandis que le sax ténor assure le lead…


Avec T-Model Ford, les choses prennent une tournure plus solennelle. A 89 ans, le bluesman du Mississippi arrive à petits pas, canne en main, s’assied à côté de son ampli où l’attend nonchalamment son verre de whisky (déconseillé par son médecin !), et libère rapidement les vibrations du blues électrique marécageux de sa génération perdue. Si ses doigts semblent effleurer les cordes, c’est un son brut et tendu qui s’en échappe, diaboliquement rythmique. Minimaliste, il est accompagné de la puissante pulsation d’un jeune batteur dont la barbe et la casquette de révolutionnaire cubain ne cachent rien de son dévouement et de son bonheur d’accompagner une légende de trois fois son aînée. L’œil rieur, T-Model Ford semble défier la foule, genre « je vous enterrerai tous ». « I’m a ladies’ man » dit-il dragueur en plongeant dans les yeux des demoiselles du premier rang qu’il tente d’ensorceler par ses blues en mi mineur tournant et tournant encore jusqu’à l’hypnose.


Photo : Florian Garcia


Puis c’est la tornade Heavy Trash, emmenée par le charismatique et tourbillonnant Jon Spencer, qui catalyse la moiteur ambiante et électrise l’assistance. Esprit 100% rock’n’roll fifties et sueur punk, costards ajustés, cheveux gominés et contrebassiste chapeauté. Tel un pantin azimuté derrière sa guitare acoustique chevillée au corps, le performer Spencer dévore son micro pour mieux faire vibrer les infra basses et, bien sûr, les cœurs et les corps. l’individu maîtrise à merveille tous les ressorts du rockabilly dont il use et abuse, du hoquet sexy suraigu au chevrotement elvisien. Théâtral et joueur, cristallisant l’attention, hurlant comme un possédé, il semble toujours à la limite, en transe, prêcheur fou aux yeux exorbités, à base d’incontournables « let me here say yeah ! ». L’évangile selon Jon Spencer : « I wanna know what’s in a woman’s mind »…



Photo : Florian Garcia


A côté de lui, son acolyte Matt Verta-Ray fait pleuvoir riffs et solos sur sa Gibson archtop couleur d’or, tandis que leurs batteur et contrebassiste assurent leurs arrières avec finesse et assurance. Plus qu’un projet parallèle rétro et défouloir de Spencer et Verta-Ray, Heavy Trash apparaît surtout comme une entité où le plaisir guide la musique. Il n’y a qu’à voir le contrebassiste Simon, visiblement ravi de partager ce moment, se marrer et pousser les chœurs sans la moindre retenue. Les « standards » du groupe sont ainsi envoyés toutes sirènes dehors à l’instar de Justine Alright, auxquels viennent s’ajouter les morceaux du nouvel album : Bumble Bee, Gee, I Really Love You, Isolation, That's What Your Love Gets, ou encore Good Man chanté par Matt. Tout cela est sèchement noyé d’une reverb slapback caverneuse, qui s’affole quand viennent s’entrechoquer les cris, les accents du batteur et la guitare de Verta-Ray.




Lorsqu’on y pense, on se dit que, tout de même, il y a cinquante ans, la bienpensante pudibonderie devait bel et bien s’arracher les cheveux et tomber en syncope à la vue de pareils énergumènes et face à tant de sauvagerie, de corps et de paroles explicites… Car le rock’n’roll est un choc.



Flavien.G


19/07/2009

Il y a longtemps qu’on les attendait… Depuis deux albums, durs, violents, emplis de ténèbres, on se demandait quand les Warlocks de Bobby Hecksher referaient surface. Les voici enfin, dans une Maroquinerie des grands soirs, et la patience en valait la chandelle. La formation américaine à l’équilibre fragile reste la reine du côté obscure. Définitivement.


Pour ouvrir les hostilités, les Four Dead In Ohio délivrent un psychédélisme forcené. La salle est plongée dans une obscurité abyssale zébrée d’éclairs stroboscopiques et foudroyants, tandis que se projettent derrière le groupe des images qui ajoutent à la dimension subliminale du quatuor. Les guitares sont passées à la moissonneuse, assénées à l’unisson des saccades lumineuses. Sous la casquette et les cheveux longs, gavroche – Jakob Ohlsen – chante et arbore chemise de bûcheron et Gretsch blanche qui rappellent que le nom du groupe n’a pas été choisi au hasard. Neil Young a décidément marqué plus d’une génération de musiciens. À droite, un bassiste dont la dégaine évoque plus la fratrie Ramones, fait gronder la terre à en réveiller les morts-vivants, avec le soutien du batteur, alors qu’à gauche, le second guitariste s’affaire à la manière d’un Peter Hayes du Black Rebel Motorcycle Club.



Photo : Florian Garcia


Changement de plateau et Bobby Hecksher et sa troupe font une première apparition pour les derniers réglages et accordages de leurs guitares hollow-bodies, s’éclipsent puis reviennent pour de bon. Red Camera lance le concert comme il lance leur dernier disque : retenu, anxiogène, sous les lumières rouges infernales alors que derrière défilent les images du clip. Instant de grâce, So Paranoid garde toute sa beauté désespérée. Mais c’est la visite de « Phoenix », l’album de l’insouciance, qui libère et déchaîne les fans. Sourire au coin des lèvres, Bobby semble agréablement surpris par l’accueil qui lui est réservé et l’excitation que provoque chacune de ses intros : Shake The Dope Out, sur fond de seringues et cachetons en suspension, The Dope Feels Good, où l’écran s’imbibe d’auréoles sanguines, ou encore Hurricane Heart Attack, reprise en chœur par le public.


Hecksher fait des manières ici ou là dans sa gestuelle, glisse quelques remerciements, mais c’est assurément avec sa musique qu’il est le plus apte à communiquer. Et avec trois guitares au compteur, autant dire que le boucan est épique. Parfait pour la mise en son de ses visions ombrageuses : on assiste parfois à de belles démonstrations de shoegazing et de guitares enchevêtrées, alors que basse et batterie assurent des fondations de béton. Ce soir la caisse claire est surpuissante, et l’ondulante bassiste tisse des lignes rondes et hypnotiques. Alors que la musique s’infiltre pernicieusement dans les corps, l’expérience est aussi visuelle, les musiciens et leurs ombres comme autant de reliefs mouvants devant la toile de projection. Zombie Like Lovers au rythme désarticulé, met de fait le batteur à l’honneur avant de s’éteindre dans une apologie du larsen, puis Standing Between The Lovers Of Hell déverse tout son fiel au rythme cardiaque de la grosse caisse. Par la suite Caveman Rock, vieille chanson du groupe, sera l’occasion d’inviter un quatrième guitariste, et pour Bobby d’attraper sa Vox 12-cordes, option Brian Jones.



Photo : Florian Garcia


Alors qu’ils quittent la scène, hors de question d’en finir pour l’auditoire. Le rappel sonne donc l’heure du déluge : feedback à bride abattue, jam éclatée, décibels fous. Les zombies opineraient du chef. Espérons qu’ils reviennent vite, les lumières se rallument et déjà le manque s’installe…


Flavien.G



Setlist

Red Camera / Isolation / So Paranoid / The Midnight Sun / Shake The Dope Out / The Dope Feels Good / Hurricane Heart Attack / Zombie Like Lovers / Standing Between The Lovers Of Hell / Caveman Rock / Angry Demons / Stickman Blues / Warhorses / Come Save Us / Worn Thin



03/07/2009

C’était l’« événement à ne pas rater » dirait-on. C’est qu’il y avait de quoi fantasmer sur le « super-groupe » de l’année, soit la réunion, au sommet, de Jack White (The White Stripes, The Raconteurs), Alison Mosshart (The Kills), Jack Lawrence (The Greenhornes, Blanche, The Raconteurs) et Dean Fertita (Queens Of The Stone Age). Et pour cause…


En première partie, Aqua Nebula Oscillator est l’archétype du groupe psychédélique en voyage à deux mille à l’heure (quitte à en laisser quelques-uns sur le carreau). Tout commence par un trip aux claviers de la chanteuse et du guitariste, puis la machine démarre avec l’arrivée du batteur et d’un grand échalas aux longs cheveux blonds à la basse qui envoie nonchalamment façon réacteur sur sa Rickenbacker. Le vampirique guitariste est dans sa bulle, concentré sur ses synthés et sa vieille guitare d’Europe de l’Est, tandis que la chanteuse à frange psychédélise avec eux, alternant entre son clavier, son micro capricieux et un Theremin, qui s’affole à l’approche de ses mains.


La température dans la Cigale atteint déjà un seuil critique mais le public reste aux abois, impatient. The Dead Wheather se démarque avant même leur entrée en scène puisque les roadies, qui peaufinent les derniers réglages et l’installation, déambulent en costard et chapeau. Ce qui, mine de rien, en impose. On se croirait à une soirée en l’honneur des guitares Gretsch : alignées, une White Falcon, une Billy Gibbons (la gratte ZZ Top !), une Bo Diddley carrée et une basse White Falcon, toutes d’un blanc crémeux et immaculé. L’arrivée du groupe rend l’audience immédiatement dingue. On ne l’arrêtera plus.


Photo : Florian Garcia


A la batterie Jack White, avec ses épaules de déménageur, bûcheronne les fûts étalés autour de lui. Pas virtuose mais efficace, avec un style personnel. Ses interventions vocales nasillardes dans un micro au son téléphonique déclenchent la clameur de la foule. Devant lui, en front-woman, Alison impressionne. L’impétueuse tigresse a visiblement changé de catégorie pour devenir une véritable chef de meute. Voix écorchée, charisme évident, tout en posture et courbure, sans retenue, à la limite de la perte de contrôle, punk, belle et fiévreuse. Alison Mosshart pourrait bien être la Janis Joplin des années 2000.


Photo : Florian Garcia


A ses côtés, Jack Lawrence, le bassiste à lunettes, tout musicien timide qu’il est fait preuve d’un engagement sans faille et ondule avec souplesse, ne se formalise pas lorsqu’il souffre de son matériel défaillant, laissant ses techniciens chapeautés s’affairer à identifier la panne. A la guitare et aux claviers, Dean Fertita est un multi-instrumentiste doué qui ajoute une touche psychédélique et des nuances de piano Wurlitzer. Il ne semble pas prendre ombrage de la présence de White dans son dos, et on se doute que le batteur de ce soir ne renierait pas ses riffs bluesy/heavy. N’empêche, pour Will There Be Enough Water, Jack White quitte la batterie – remplacé par Lawrence –, se saisit d’une guitare et vient montrer qu’il est bien le patron, avec son jeu caractéristique, et une incroyable aisance à décocher des stridences assassines. Le show monte d’un cran : dans l’arène, plus aucun obstacle entre le colosse White et la déesse Mosshart, et les voir se chanter à la gueule, face à face, la bouche collée au micro, fait bien sûr partie du spectacle. Le clou ; enfoncé avec force décibels. Le public est sonné. Et pourtant le rappel assène un nouveau coup de fouet, définitif.


Photo : Florian Garcia


Tout cela, ne l’oublions pas, demeure le fait d’un groupe qui n’a que quelques mois d’existence, dont l’album n’est même pas encore sorti, et qui n’affiche que quelques concerts de rodage au compteur. Autant dire que la marge de progression est énorme !


Flavien.G

23/06/2009


Qu’on se le dise, cette chronique ne sera pas le lieu pour épiloguer sur le sort du rock en France, ni sur l’hypothétique rôle de représentants d’une certaine « French décadence » que pourraient endosser John et Jehn à Londres, leur ville d’adoption lorsqu’ils ne sont pas sur la route.




Le mystère plane sur le déroulement de la soirée alors qu’on découvre que le couple a invité les dénommés Gemma Ray et Le Prince Miiaou à partager leur affiche. Plongeons dans les entrailles de la Maroquinerie – et dans l’inconnu donc… Derrière Le Prince Miiaou se cache une jeune et jolie demoiselle qui se lance dans le délicat exercice de la performance solo en auto-sampling. Construire un morceau seule, guitare en main et pieds sur l’enregistreur, en empilant gimmicks et harmonies de voix, est une gymnastique casse-gueule mais impressionnante, et elle s’en tire plutôt bien. Dès les premières secondes, le morceau Hawaiian Tree prend par surprise : « je te jetterai des cailloux » répète la boucle, puis l’intensité monte à n’en plus finir. Le personnage est intriguant, timide et caractériel à la fois… Cinq chansons plus tard, entre crispation et concentration, Le Prince Miiaou s’éclipse en courant, sous les applaudissements.


Vient alors le quintette anglais de Gemma Ray qui transpire le rock’n’roll fifties avec guitares slapback et tremolo. Un vortex s’ouvre sur l’Amérique de Nancy Sinatra, ambiance Tarantino et Cadillac, avec la belle chanteuse brune Gemma Ray, fleurie de la robe aux boucles d’oreilles, dans le rôle de meneuse avec sa guitare Harmony ancestrale. Autour d’elle, un marlou gominé joue du couteau sur sa Telecaster, et une choriste-percussionniste blonde à la coiffure un tantinet has-been qui soutient bassiste et batteur avec tambourin, shakers, et autres cabassas, avant de se saisir d’un stylophone, ce petit jouet au charme désuet. Le rock’n’roll n’est pas mort pour tout le monde…


Photo : Florian Garcia


Puis arrive l’heure de John & Jehn. Les deux amants jouent face à face et se partagent la scène en deux, séparés par l’orgue de madame. De son côté, John fait les cent pas, accroché à sa guitare (vintage forcément), silhouette élancée, visage creusé et une moustache qui lui donnent de faux airs de Fred Chichin, diront certains. La jeune Jehn, cambrée derrière son orgue noir retro, arbore robe noire et cheveux noirs coupés rétro, clin d’œil à Louise Brooks dont ils mettaient récemment un film en musique.

Si leur album est plein d’ombres et distille une certaine noirceur, celles-ci s’estompent sur scène à la lumière de leur bonne humeur et de leur énergie. Mais leur son est bien là, la guitare mordante et revêche, la basse puissante, percutante et saturée, l’orgue cheesy, la voix de Jehn capable de passer en un clin d’œil de la douleur au plaisir, de la gêne à la joie. Ravi d’être là, sur scène, le couple a manifestement gagné en assurance au fil des concerts. Les chansons sont revisitées avec un son plus ample, et le set s’est étoffé de nouveaux morceaux (le prometteur single Oh My Love ; Sunny Boy, très pop heighties)… Malgré la boîte à rythme, commandée par John, rien ne semble figé chez eux : on est loin, parfois, des versions d’origine, et les nouveaux titres s’aventurent vers des terrains encore jamais foulés par le duo.


Photo : Florian Garcia


Comme une évidence, Make You’re Mum Be Proud s’impose en morceau fort de leur répertoire, et l’on assiste à un duel à distance sans pitié, les yeux dans les yeux, à coups de basse et de guitare, petit jeu captivant à l’issue incertaine… De la place pour l’imprévu. En rappel, John revient en lunettes noires et Jehn en emprunte dans le public pour enfin offrir 20L07, visiblement attendu par beaucoup, et un Fear Fear Fear, qui s’allonge et prolonge le plaisir, avant de finir sur une reprise – ou plutôt réinterprétation – de Small Town Boy de Bronski Beat (choix surprenant, mais des madeleines de Proust on ne discute pas)… A voir leur potentiel, on se dit que John et Jehn ont encore certainement de belles choses devant eux. Et c’est tout ce qu’on leur souhaite.



Flavien.G



Setlist

I Can See You / 1,2,3 / Black Train / Oh My Love / Love Me / Sunny Boy / Lookin’ For You / Sister / Today / Make Your Mum Be Proud // Rappel : 20L07 / Fear Fear Fear / Small Town Boy.


15/06/2009

Neil Young, Paris, Le Zénith, 4 juin 2009


Incroyable. Un an seulement après son précédent passage, Neil Young est de retour à Paris. En 2008 au Grand Rex, deux soirs de suite, l’homme aux quarante années de carrière avait bluffé son public en interprétant seul, perdu au milieu de ses guitares, ses plus beaux titres folk, comme au premier jour, avant de revenir mettre le feu pour une seconde partie électrique, entouré de son groupe.


Ce soir Neil Young est au Zénith. Et la salle a fait le plein, bien entendu. A bientôt soixante-quatre ans, le Canadien est en pleine forme et semble désormais pouvoir échapper au temps (malgré l’embonpoint et les cheveux en moins), un peu comme Iggy, Mick et Keith, Paul… Il le prouvait encore tout récemment avec son nouveau disque, « Fork In The Road », dans lequel il se montre à fleur de peau, prêt à en découdre, préoccupé par une planète au bord de l’implosion. Pour l’occasion, le set est parfait, les morceaux piochés dans ses albums les plus marquants, de « Everybody Knows This Is Nowhere », « After The Gold Rush » et « Harvest », ses chefs-d’œuvre des débuts, aux récents « Chrome Dreams II » (Spirit Road) et « Fork In The Road » (Get Behind The Wheel) en passant pas « Ragged Glory ».


Cette fois-ci, il attaque d’entrée de jeu dans un déluge de décibels. Et frappe fort, ne tardant pas à jouer le paroxystique Hey Hey My My, dans une version de fin du monde, méchante à souhait, suivie d’Everybody Knows This Is Nowhere. En trois morceaux, la couleur est annoncée : Neil Young est venu offrir un grand moment. Couguar carnassier, sa grande carcasse courbée sur sa fidèle et indomptable Gibson Les Paul noire, il lui plante ses griffes à même le cou, et la fait hurler comme nul autre. Le son de la guitare est cataclysmique, nimbée d’un écho sidéral. Le Loner ressemble de plus en plus à un vieux sachem et entraîne tout le monde dans une expérience shamanique, extirpant de sa guitare les sons de l’univers. Feedback du Big Bang (et Big Bang de feedback). Et sa voix plane au-dessus, bien au-dessus, très haut, parfaitement intacte. Comme un vent de liberté soufflant dans le public, on voit ici et là s’élever des volutes de fumée… La foule fascinée hallucine, exulte à tout bout de chant.


A mi-course, il lève le pied et monte là-bas derrière, au fond de la scène, comme à une chaire d’église, pour interpréter, dans un silence religieux, un morceau sur un véritable orgue (un harmonium ?). Sur scène, c’est une fois de plus un fameux bordel d’amplis, d’instruments et de bibelots (le téléphone rouge). C’est l’heure de la cérémonie acoustique avec des morceaux aussi magnifiques que Don’t Let It Bring You Down, Old Man ou Heart Of Gold qui déclenchent l’ovation. Dualité de la légende folk et du rocker fauve. Pour toujours. Les possibilités du Neil semblent infinies. Car l’intermède ne dure pas, quitte à mettre encore un peu plus la gomme sur Rockin’ In A Free World qu’il n’en finit plus de faire repartir avec la complicité de son batteur, avant une apothéose de larsens apocalyptiques.


Comme si cela ne suffisait pas, le groupe revient achever le travail, dans un rappel tout aussi explosif et un fantastique hommage aux Beatles avec une reprise de A Day In The Life, sur laquelle il termine comme un dément, arrachant sauvagement les cordes de sa guitare. Au-dessus, quatre lettres restent illuminées : N E I L…



Flavien.G


05/06/2009


Étonnant, à l’heure d'écrire ces lignes, de se rendre compte que ce sont les premières concernant Dan Auerbach. C’est que l’individu a quelque chose de familier, après huit ans de Black Keys et cinq albums qui, inévitablement, construisent une histoire. Il aura fallu l’escapade en solo du guitariste, en parallèle de son duo majeur (et maître du blues mineur) pour l’évoquer enfin.



Parce que Dan Auerbach n’est pas n’importe qui. La voix et la guitare des Black Keys, Akron, Ohio. Pour beaucoup, le duo blues-rock, guitare-batterie, qu’il forme avec Patrick Carney a longtemps été considéré comme une sorte de pendant sombre des White Stripes. En plus rude, plus dur, moins glamour, plus méchant, plus buriné. Rien n’empêchant d’aimer les deux, pour ce qu’ils sont – et c’est assurément ce qu’il y a de mieux à faire. Ce qui est sûr, c’est que, comme les White Stripes, les Black Keys sont importants, qu’on se le dise. Et que, comme Jack White, Dan Auerbach est un stakhanoviste qui, lorsqu’il n’enregistre pas ses propres disques, chapeaute ceux des autres, au hasard Radio Moscow, ou Black Diamond Heavies. Brillamment s’entend. Mais la formule duo, si fascinante soit elle, a aussi ses limites et le voilà donc en « solo », c'est-à-dire avec qui il veut quand il veut (les potes, la famille). « Keep It Hid », sorti en février, est donc plus riche en instruments, plus varié en directions musicales… Et il fallait bien que tôt ou tard le disque se voit transposé sur scène. Et au Trabendo ce soir.


Pour l’occasion Auerbach s’est entouré de mercenaires mariachis et reconstitue, à sa manière, la chevauchée de la horde sauvage. Même avec la barbe et les cheveux coupés, Dan a quelque chose d’un cowboy (un garçon vacher), et se pose naturellement, sans esbroufe, en chef de bande, avec, comme il se doit, un beau ténébreux à la basse, un pistolero à la guitare, et trois gaillards plus ou moins velus dans le rôle des dynamiteurs de percussions, batteries (deux !) et orgue (italien, l’orgue). Ce sont les Fast Five, qui comptent dans leurs rangs des membres du groupe Hacienda (originaire du Kentucky, et produit par… Dan) ainsi que le batteur de My Morning Jacket. Dans le désordre, le bon, la brute, le truand et leurs cousins. Tous fringués plus ou moins à la sauce tex-mex. Et le hold-up est plutôt réussi…


Photo : Florian Garcia


Ici et là, les ballades (When The Night Comes, Goin' Home) sont autant de moments intimes qui dévoilent pudiquement l’étendue du registre et des capacités d’Auerbach, qui démarre le concert seul, religieusement, avec Trouble Weighs A Ton. Mais il faut surtout reconnaître la diabolique efficacité qu’il parvient à injecter dans les morceaux les plus enlevés, I Want Some More, Mean Monsoon ou Street Walkin’ en tête. Autour de lui, ça maracas la baraque, ça dodeline de la tête, ça se laisse emporter par le groove, par le groupe. Cohésion et vibrations collectives. Entouré de la sorte, le poids sur ses épaules est moindre : nul besoin de tenir les rennes à tout moment comme en duo, ou d’envoyer de la guitare non-stop façon artillerie lourde. Son jeu est ici plus rythmique, les solos distribués par petites salves. Il tire à bout portant de sa vieille Harmony Rocket américaine, des riffs forcément fuzz (on ne se refait pas), mais qui respirent au milieu des grands espaces que s’offre le groupe. Et que dire de sa voix ? Renversante, plus puissante et expressive que jamais.


Photo : Florian Garcia


Face à eux, si la salle souffre de la concurrence du soir (PJ Harvey au Bataclan, Ben Kweller à la Cigale), elle y gagne en densité de fidèles, qui renvoient une belle énergie. Quant à ceux qui découvrent, ils en sont quittes pour une belle surprise. A la sortie, point de tequila : guitares rengainées, Dan et les Fast Five s’en vont déjà dans la nuit. C’est leur boulot…


Flavien.G



Setlist par Céline M.

Trouble Weighs A Ton / I Want Some More / The Prowl / When I Left The Room / My Last Mistake / Mean Monsoon / Oh Carol, I'm So Sad [Rockin' Horse] / Real Desire / Money & Trouble / Street Walkin' / When The Night Comes / Whispered Words (Pretty Lies) / Heartbroken, In Disrepair / Keep It Hid / Inside Lookin'Out [The Animals]
Rappel : Goin' Home / Hidden Charms [Willie Dixon]