25/12/2008


Malgré les multiples rumeurs de reformation, on peut dire sans trop se mouiller que The Libertines appartiennent au passé – et probablement à l’histoire, avec deux albums qui pourraient bien être les seuls à rester du rock anglais des années 2000 –, et Dirty Pretty Things, comme BabyShambles, ressemble cruellement à une manière pour Carl Barât de signifier à son alter ego Pete Doherty qu’il peut se débrouiller sans lui (et réciproquement, donc). Il n’empêche que ni le groupe de Doherty, ni les DPT qui nous intéressent ce soir ne parviennent à faire oublier leur glorieuse collaboration, le bon vieux temps (« The Good Old Days »…) et le fait qu’ils sont meilleurs ensemble. D’ailleurs, si leur succès actuel découle peut-être de ce fameux passé, on ne peut que constater que les deux groupes sombrent lentement, mais sûrement : BabyShambles est moribond et Doherty s’en va vaquer en solo, s’acoquiner avec Amy Winehouse (on imagine le carnage toxique) et manquer ses propres concerts, tandis que Barât, plus sobre (enfin façon de parler... disons moins médiatique), a tout simplement fait savoir que cette tournée serait la dernière avant la séparation de son groupe.


Effet d’annonce oblige, on se dit que c’est l’occasion d’aller voir, sait-on jamais, et on est surpris de découvrir un Bataclan relativement clairsemé, le balcon tristement vide. Bien sûr, le public se compose majoritairement de jeunes parisien(ne)s trop bien sapé(e)s. Les plus ponctuels auront pu voir les Tatianas, trio parisien chargé de l’ouverture. Les Dirty Pretty Things débarquent tranquillement la clope au bec vers 21 heures : Garry Powell (batteur originel des Libertines) derrière les fûts, torse nu avec ses biscoteaux de sprinter américain, Didz Hammond, le bassiste en chemise noire, posté devant son ampli couvert de l’Union Jack, Anthony Rossomando, guitariste à la tignasse bouclée et hirsute, et Carl Barât, vêtu comme il se doit d’une petite veste de cuir des plus seyantes. Powell la joue physique et le quatuor s’en sort plutôt bien, face à une assemblée réceptive venue pour remuer, et qui connaît manifestement les paroles. On ne voit guère quoi leur reprocher, dans le genre rock british, cela se tient impeccablement, et pourtant on a le sentiment que la sauce ne prend jamais complètement.


Photo : Florian Garcia


En fait c’est après une heure de jeu, en rappel, que les quatre vont un peu plus se lâcher entre le single Bang Bang You’re Dead du premier album et une reprise de In Bloom de Nirvana. Suit un second rappel, durant lequel Rossomando s’offre un impressionnant stage diving avec sa guitare. Et puis s’en vont, fin de l’histoire.


Si la séparation prématurée des Libertines avait laissé un amer goût de gâchis, la fin des Dirty Pretty Things n'aura pas le même impact émotionnel. On est presque embarrassé pour Carl Barât qui, somme toute, fait son boulot honnêtement, mais semble traîner ses guêtres, son désespoir et son fardeau, bien loin de sa jeunesse perdue.


F.G.



Photo : Florian Garcia


21/12/2008


Difficile métier que celui de guitar hero. Popa Chubby, individu haut en couleur s’il en est, est l’un des derniers légataires d’un certain esprit blues et rock’n’roll, option guitare. C’est la crise et c’est un Bataclan incomplet, avec fauteuils, et balcon fermé (sauf pour quelques fins obstinés qui ont réussi à s’y faufiler), qui l’accueille pour le deuxième soir de suite.


Popa débarque à 20h15, avec ses tatouages, ses kilos et son chapeau, en trio, avec batteur et bassiste, et enfourche sa guitare. On jurerait parfois assister à une démonstration de la Fender Stratocaster par un de ses éminents émissaires, la preuve par six cordes, s’il en était encore besoin, que cet engin est La guitare ultime. On dirait pourtant un jouet entre les grandes paluches de cet imposant personnage. Son jeu est proprement hallucinant, brillant lorsqu’il reprend certains morceaux inscrits dans la légende par les doigts de fée de saint Jimi Hendrix, patron des guitaristes à qui il rendait hommage il y a deux ans avec le triple album « Electric Chubbyland » : Hey Joe, Manic Depression et Little Wing ne manquent pas de panache et font leur petit effet… Il s’offre également un clin d’œil à Led Zeppelin, où s'illustrait Jimmy Page, qui n’était pas la moitié d’un manche non plus. Chaussé de Converse Chuck Taylor, il n’hésite pas à appuyer sur le champignon de sa pédale wah-wah pour des solos débridés et hurlant : Cry Baby, c’est bien cela !


Photo : Florian Garcia


Au bout d’une heure intense de sueur, de grimaces et de langue tirée, devant un public sagement assis, sagement initié (moyenne d’âge relativement élevée), sagement fan et sauvagement enthousiaste (demandez un « yeah » ou de battre des mains, et Monsieur est servi), au bout d’une heure donc, Popa Chubby invite un premier larron, ami parisien joueur de pedal steel guitar, puis un violoniste, ainsi que sa copine (sa femme ?) au chant et à la basse, tandis que le bassiste se saisit d’une guitare acoustique. Tout ce petit monde est là pour défendre l’album fraîchement paru – et palme de la pochette de mauvais goût : « Vicious Country ». Et dans un premier temps cela y ressemble en effet : le guitariste continue tout bonnement sur sa lancée, donnant dans une country sale, bluesy, rock. Ce sont surtout les rythmes et l’aigrelet violon qui rappellent les racines d’une certaine musique américaine. Seulement voilà, l’ennui gagne rapidement et on a de plus en plus l’impression d’assister au concert d’un vieux groupe de bal lambda en plein milieu du bayou. A vrai dire, si Popa Chubby capte logiquement l’attention et la lumière, ses acolytes ont un déficit flagrant en charisme. Et si madame Chubby se défend finalement pas si mal à la basse et au chant, ce n’est pas une raison pour s’habiller n’importe comment (bottes de moto, collants et tutu noirs), et elle a le malheur de faire penser à votre voisine – oui, celle qui sort son caniche tous les soirs – dont vous découvririez stupéfait la double vie : tatouages et rock garage !

Difficile donc, de rester mobilisé, d’autant qu’aucun morceau ne se détache réellement (à part une reprise de Gloria, à la fin, qui soulève, diantre !, le public) et qu’on approche les deux heures et demie de concert. Pour ne rien arranger, on assiste ensuite à une touchante réunion de famille puisque les Chubby encadrent leurs deux filles – qui ont hérité de leur popa une certaine propension à l’embonpoint – l’une au violon, l’autre à la trompette, pour une chanson à quatre voix tout à fait anecdotique.

Le « show » finit par toucher à sa fin, et, la guitare raccrochée, il vient comme souvent à son habitude prendre la place de son batteur pour une petite démonstration récréative, avant que ce dernier ne le rejoigne à nouveau pour une partition percussive à quatre mains, alors que déjà la salle se rallume…


On quitte les lieux dubitatif, partagé entre l’immense respect qu’inspire le guitariste et l’indifférence que procurent ses errements avec son groupe du moment. Le salut se trouverait peut-être dans un super-groupe avec des musiciens à sa mesure qui le pousseraient à composer de grandes chansons. Peut-être…


F.G.


17/12/2008


Avec deux premières parties prévues au programme de ce soir, tout le monde n’a pas joué la prudence de rigueur question timing. Et alors que la première a déjà eu lieu, c’est le second groupe qu’on découvre à l’ouvrage sur la petite scène de la Maroquinerie, avec un batteur qui meule et des guitaristes qui bûcheronnent des grattes choisies avec goût, pendant qu’un harmoniciste ajoute encore un peu plus, si possible, au boucan ambiant.
Puis viennent enfin les Datsuns, alors que sort leur quatrième album, lorgnant tantôt vers les Hives les plus punk, tantôt vers le Black Rebel Motorcycle Club – parce que quand c’est psychédélique c’est mieux –, et tantôt vers ce qu’ils savent faire de mieux : du Datsuns pur jus, tout en riffs et hurlements, façonné comme le meilleur du hard rock seventies…

Voilà donc les quatre Néo-Zélandais sur scène et dans le vif du sujet sans plus tarder (Sittin Pretty) : allure d’éternels adolescents gringalets, charisme limité mais rock’n’roll sur-vitaminé. La vérité, c’est que ça envoie la purée ! A gauche, Christian donne dans le solo de wah-wah sauvage, et à droite, Philip mouline sans retenue façon Pete Townshend. Dolph, derrière ses cheveux, arbore une coquette moustache, et un t-shirt noir à l’effigie des Kinks. Il s’égosille à tout va dans son micro, harangue la foule, et alourdit le propos d’une basse au manche ténu tenue à bout de bras : pas plus de trois titres avant de dégouliner littéralement de sueur. Quant à Ben, le nouveau batteur, il s’applique à enfoncer un peu plus le clou, avec un acharnement tout à son honneur.
Dans la fosse, les premiers rangs remuent allègrement. Ça « pogote », dirait-on ! C’est que tout ce petit monde sait pourquoi il est là, dans ce petit club souterrain, et pas ailleurs… ça n’aurait pas vraiment de sens d’être, au hasard, au Zénith (où se produisent les BB Truc). De solides bras, donc, pour accueillir Dolph, qui n’hésitera pas longtemps à se jeter sur cette petite marée humaine qui finit par le re-propulser sur scène, comme si de rien… Certes, force est de reconnaître que ce sont les vieux morceaux qui fonctionnent le mieux (et dans le public on entend ça et là réclamer I Got No Words – qu’on aurait volontiers entendu, il est vrai), mais le set est dense, intense, avec en point d’orgue l’immense MF From Hell (MF pour Mother Fucker), terriblement efficace. Les Datsuns s’éclipsent après Eye Of The Needle, du nouvel album, rare moment où le tempo ralentit un peu, pour repartir plus puissant encore, avant d’achever définitivement l'assemblée avec un rappel pas piqué des hannetons.

C’est bel et bien une certaine idée du fun qui règne, chargé d’énergie, sans calcul, avec une fraîcheur qui ne s’est toujours pas émoussée depuis 2002 et leur premier album éponyme. Ou comme un plaisir coupable pleinement assumé ; et on en surprendra plus d’un à secouer la tête avec un petit sourire en coin, le regard complice, vaguement vicieux, diablement satisfait…


Flavien.G



13/11/2008


Le concert affiche complet depuis plus de trois semaines. Il y en a qui n’auraient raté cela pour rien au monde. En connaissance de cause, évidemment… Après tout, les Kills ont pondu rien moins que trois disques majeurs des années zéro – puisqu’on les appelle ainsi – sans la moindre faute de goût. Une musique sulfureuse, subversive, animale et minimaliste : le petit dernier, « Midnight Boom » est sans conteste l’album de l’année. Avec des mélodies à tomber par terre, une tension à tourner comme lion en cage, des rythmiques qui secouent, une guitare qui transperce et une voix qui transporte. Et c’est donc pour le défendre, qu’Alison « VV » Mosshart et Jamie « Hotel » Hince sont sur la route depuis des mois. Et ici ce soir, au Bataclan, adéquat réceptacle pour ce duo hautement addictif.

La première partie est « assurée » par les Naive New Beaters, un trio tout simplement navrant : boîte à rythme redondante, guitare et chanteur insupportable. Vraiment navrant… Mais qu’importe. 21h passées, The Kills débarquent enfin. Punk chic, jeans serrés qui leur collent à la peau, lui en petit pull marin sous le blouson de cuir, et elle, chemise ouverte sur t-shirt à trous. Et cette paire de boots en or qui ne la quitte plus, s’entend. Les bruits de téléphone de U.R.A. Fever retentissent et la connexion s’établit instantanément. Aucun des deux ne décrochera jusqu’à la fin. Alison est belle et fascinante, magnétique sous sa crinière féline, chantant avec une intensité non feinte, de sa voix chaude usée par la tournée, parfois à la limite de la rupture comme sur Tape Song, interprétée de la manière la plus nerveuse qui soit. Accrochée à son pied de micro ou perchée sur les baffles de retours, elle a la foule à ses pieds, subjuguée…
Dans le genre rock’n’roll et ténébreux, Jamie n’est pas en reste, pas le dernier non plus à violenter sa guitare Höfner des années 60, véritable arme de destruction massive qu’il secoue, qu’il cogne… Elle pourrait se tordre tant la tension semble forte. Il en tire un son glacial, sec, rêche, des riffs brutaux, pour une musique infernale et brûlante. La bouche collée à son micro, il emmène celui-ci où bon lui semble, ou plutôt vers sa complice, et le jeu du chat et de la souris commence… tantôt au coude à coude, tantôt chacun de son côté de la scène, mais toujours en fusion, se fusillant de la guitare, et de mimer des coups de tête rageurs…


En un peu plus d’une heure, les chansons de « Midnight Boom » sont largement balayées (
Alphabet Pony, Last Day Of Magic), avec quelques incursions dans les deux précédents albums (Kissy Kissy, Fried My Little Brains). Le set est fiévreux, et Black Balloon fait office de seule ballade rescapée, seul instant suspendu dans l’ouragan sonique, où No Wow devient un morceau salement noisy. Pendant Cheap And Chearful, un mystérieux BiBi-Oman fait une apparition remarquée, dans une combinaison intégrale rose, escaladant la scène avant un stage diving en bonne et due forme à travers la salle, provoquant l’hilarité du public mais aussi de VV… Malgré toute l’intensité contenue dans leur musique, les deux Kills semblent assez détendus et savourent. Qu’importe que Jamie se loupe sur son looper et s’y reprenne à deux fois en lançant U.R.A. Fever après avoir annoncé une de leurs plus vieilles chansons, Cat Claw : « You’ve got it / I want it »…

En rappel, c’est
Pale Blue Eyes du Velvet Underground qui est offerte dans une version hard-core digne de Sonic Youth. Là, le chargé de la sécurité vient extirper du public une personne inanimée. Inquiets, Alison et Jamie s’interrompent, s’enquièrent de son état, lui apportent de l’eau, laissant la boîte à rythme continuer son lancinant office. Tout va bien ; l’incident clos, ils reprennent le morceau, sous les acclamations du public qui a apprécié le geste. Juste classe. Après deux autres chansons, ils finiront carrément à quatre pattes, dans une folle chevauchée de guitare… Sur scène, les Kills donnent tout, et bien plus encore.

Alors oui, les Kills sont des tueurs, avec ce côté sexy, dangereux, Bonnie and Clyde… Probablement le truc le plus rock’n’roll depuis Kurt Cobain. Et ça fait un bien fou.


F.G.

19/09/2008


Ah Paris Plage… Ses parasols, ses terrains de pétanque, ses promeneurs du samedi, Sea, Sex and Sun ! C’est là, sous le pont de Sully, que l’on retrouve la scène montée par la Fnac et ses co-sponsors (impossible de les oublier avec la grande et hideuse toile rose tendue derrière…). Deux jours par semaine, durant un mois, quelques groupes savamment choisis suivant une programmation éclectique de productions indépendantes (c’est dans le titre…), auront la chance de casser les oreilles du tout-Paris. Et en ce 26 juillet, c’est de Rock qu’il s’agit (s’agite ?). Sous le soleil de l’après-midi, Rubin Steiner et Demago sont déjà passés par là, et la soirée appartient à Tanger, de France, et aux BellRays, de Californie bien sûr.


Ce soir, tout Tanger est à Paris, donc. Le temps d’installer le matériel, et les voilà qui débarquent sur scène, l’impassible bassiste Didier Perrin, le guitariste Christophe Van Huffel, coiffure post-punk et perfecto doublé en fourrure léopard, et Philippe Pigeard, chanteur, dandy charismatique, lunettes fumées, veste noire et pantalon blanc estival, accompagnés de leur batteur. Tournée de promo oblige, la part belle est faite aux titres de leur nouvel album, « Il est Toujours 20 Heures Dans Le Monde Moderne ». L’Homme Statue, sexuel en diable, donne tout de suite le ton ; Roulette Russe & Poing Américain, ou encore l’hilarante Fée De La Forêt, révèlent un vrai potentiel scénique, plus rock, moins synthétique que sur disque. Pigeard captive, avec ses textes écrits d’une plume originale, drôle, rare et poétique, chantés sans complexe ; et Van Huffel, qui dévoile rapidement son torse et ses tatouages, harangue la foule avec sa Fender Jaguar d’époque dont il tire des riffs rageurs qui finiront par venir à bout de l’antique ampli Vox qui trône derrière lui. Un micro supplémentaire est alors amené sur scène, et on sent venir l’heure du duo sexy, Parti Chercher Des Cigarettes, avec Nina Morato, grande blonde sulfureuse vêtue de rouge, qui ne tarde pas à montrer une épaule puis un bout de son soutien-gorge argenté de cosmonaute… Ensuite, impossible, évidemment, de couper à leur reprise fétiche : J’Aime Regarder Les Filles, qui, pour l’occasion, marchent sur Paris Plage, ce qui ne laissera pas le public indifférent, bien sûr. Malgré le temps qui passe, Tanger continue de faire figure d’ovni dans le paysage d’ici, avec une fraîcheur qui manque décidément à toutes ces nouveautés insipides – voire faisandées, à force de faire comme l’autre – qu’on nous sert à tour de bras dans les médias.


Suivent les BellRays pour clôturer la soirée, en pleine tournée des festivals de l’été à défendre leur nouvel album « Hard, Sweet And Sticky », « dur, doux et collant » donc, et sa pochette arborant en gros plan de charmantes et dégoulinantes… sucettes. C’est d’ailleurs une jolie sucette en forme de cœur qui décore la peau de grosse caisse de Craig Waters, le batteur, qui n’a pas changé de short depuis le festival d’Angoulême, une semaine plus tôt. Le set se compose de nouvelles chansons, Infections, Pinball City, mais aussi de titres phares de leur répertoire comme le nerveux Blues To Godzilla. A la basse, le jeune Justin Andres bouge frénétiquement, et Bob Vennum, voûté sur sa guitare vénéneuse, se lâche comme un gamin qui imiterait ses idoles devant son miroir de salle de bain. Lisa Kekaula, la chanteuse, n’a rien perdu de son énergie, et habite littéralement les chansons. Lorsqu’elle n’en joue pas, elle déambule sur la scène avec son tambourin au bras en guise de sac à main. Attention mesdemoiselles, le tambourin pourrait bien être l’accessoire tendance de l’été ! Quoi qu’il en soit le public reste médusé, conquis par celle que tout le monde compare immanquablement à Tina Turner. Cerise sur le gâteau, les BellRays reviennent pour un rappel à haute teneur en rock et sueur : Highway To Hell, reprise du légendaire titre d’AC/DC, où ils parviennent à égaler l’original en puissance et en fureur.


Après cette dernière vague de rock’n’roll, certains rapportent que la Seine se serait arrêtée de couler, l’espace d’un instant, pour contempler le déluge…


F.G.


05/09/2008


Avez-vous déjà été à un festival ? Dans le genre, la Garden Nef Party 2008 d’Angoulême est un petit bijou : une programmation à faire pâlir d’envie un bonne partie de la « concurrence », un site superbe, une organisation irréprochable et un souci écologique constant (des brigades vertes aux poubelles de tri, des gobelets consignés aux saucisses bio, etc. ; c’est dans l’air du temps). Mais surtout une volonté de conserver des proportions humaines et d’éviter la surenchère, avec une douzaine de groupes par jour (répartis sur deux scènes), ce qui peut paraître maigre face à d’autres grosses machines, mais énorme aux vues de la qualité proposée… Autre délicate attention des organisateurs : l’ensoleillement continu, d’un bout à l’autre du festival ; les filles sont magnifiques – les garçons ne sont pas mal non plus –, les sunglasses de sortie, les t-shirts savamment choisis dans la garde-robe...


Vendredi 18 juillet


Le trio anglais d’Archie Bronson Outfit est chargé de l’accueil des premiers festivaliers sur la petite scène (nommée « Valette Stage »), et constitue une des bonnes surprises du festival, tricotant un bon vieux rock d’obédience psychédélique sur de bonnes vieilles guitares : direct, sans fioriture, un groupe à suivre... Pas de chance pour les retardataires, car déjà les BB Brune aspirent les foules et les filles vers la grande scène (« Garden Stage »). Ces jeunes adulateurs de Pete Doherty ont visiblement bossé, jouent carré, et ne semblent nullement impressionnés de jouer sur une scène trop grande pour eux. Ode à l’adolescence et aux jeans slim fit.


C’est ensuite Alela Diane qui prend le relais sur la Valette Stage, en mode folk, seule avec ses chansons et sa guitare, et une voix qui évoque celle de Rosemary de Moriarty programmé un peu plus tard. Nada Surf enchaîne sur la vaste Garden Stage, avec un son parfois approximatif. Malgré leur capacité à faire lever les bras du public, et la présence d’un invité en renfort aux claviers, la power pop du trio semble désespérément inoffensive, bien loin du Popular des débuts. Bravant l’ennui, mieux vaut retourner vers l’autre scène attendre les Moriarty, qui ont le vent en poupe et ne cessent de tourner depuis plusieurs mois. Leur côté terriblement rétro et déluré à la fois les rend plutôt attachants ; mais, programmation oblige, on ne peut s’empêcher de zieuter vers la grande scène où se prépare l’entrée en scène de The Kills qu’il est hors de question de manquer. Et de fait, on monte ici d’un cran, avec les premières sensations fortes – très fortes – de la journée. Le duo a changé de catégorie et atteint désormais des sommets depuis la sortie de leur troisième et excellent album « Midnight Boom ». Ils déboulent tous les deux en pantalon moulant, chapeau sur la tête, lui tout en noir, avec son flegme british d’aristocrate rock décadent, elle dans ses boots en or et sa chemise léopard, tournant comme un fauve en cage. Le son est énorme, porté par le beat de la boîte à rythme, le show monte en intensité, de plus en plus sexuel, et on vire carrément au documentaire animalier, à voir comment ces deux-là se tournent autour, s’ignorent, se cherchent…


Pas le temps de se remettre de cette claque, le marathon continue, et Jon Spencer prend d’assaut la Valette Stage avec ses Heavy Trash, sous les dernières lueurs du jour. C’est un voyage dans le temps pour un pur moment de Rock’n’roll en costard et pelle à tarte, vieilles grattes et contrebasse virevoltante. Rockabilly et Rythm’n Blues, incantations farouchement hurlées, le prêcheur gominé et son gang enchaînent les titres à la vitesse de l’éclair. La classe américaine. Pas de répit, les Raconteurs de Jack White sont déjà sur la scène Garden. Impressionnants, Brendan Benson et White se partagent les guitares et le chant, tandis que Jack Lawrence se déchaîne sur sa basse Rickenbaker. Le groupe compte ce soir un cinquième membre, chargé des claviers et des chœurs. Tout ce petit monde se fait visiblement plaisir, se donne sans compter – Jack White y laissera quelques cordes de guitares –, l’énergie est palpable… Mais ce n’est pas fini, il faut penser au Brian Jonestown Massacre, attendu sur la petite scène. Après une prestation mitigée à Paris deux semaines plus tôt, Anton Newcombe semble en meilleure forme et tient le cap. Les chansons sont toujours aussi lumineuses et la troupe tisse un mur du son psychédélique avec toute la puissance que peuvent générer leurs guitares. Le son est très fort, un véritable tsunami qui submerge le public. Entre deux chansons, Anton et ses sbires entonnent des « Let’s go fuckin’ mental, la-la-la » façon supporters de foot : devenons timbrés… Et pourquoi pas ? Cette plongée dans les limbes n’a guère à voir avec quoi que ce soit de rationnel, et après cette débauche de décibels, certains n’ont plus tout à fait les pieds sur terre.


La grande scène accueille par la suite Justice, et leurs deux murs d’amplis Marshall aussi immenses qu’inutiles pour leur électro post Daft Punk. Sous les platines, des lumières à la K2000, et au centre leur grande croix lumineuse qui ferait presque oublier le symbole qu’elle détourne : incroyable que personne n’y ait pensé avant, adopter le signe le plus répandu au monde ! Justice, plus célèbre que le Christ ? Mouais. Les plus courageux pourront encore s'enfoncer un peu plus dans la nuit, sur les rythmes du DJ set de Simian Mobile Disco.



Samedi 19 juillet


Deuxième jour. Le soleil cogne encore plus fort. Le rock aussi. Ponctuels, les Hushpuppies, tous vêtus d’une chemise blanche immaculée (assortie au slim moule-burnes du chanteur), assurent un bon set d’ouverture sur la grande scène. Le bassiste, en short et la jambe dans le plâtre, se donne autant que le reste du groupe, pratiquant le pédalo sur sa chaise avec une aisance estivale. Leurs jeunes amis Bordelais de Kid Bombardos prennent le relais et poursuivent dans la même veine rock. Fermez les yeux, on jurerait les Strokes. La scène anglo-saxonne de ces dernières années a fait des petits jusque dans nos contrées, et ces deux premiers groupes nous montrent avec brio que ce rock-là est aussi possible en France. Qui s’en plaindrait ?!


Ensuite Mademoiselle K sur la Garden Stage fait sa Mademoiselle K, se plaint de son pédalier qui ne marche pas, s’essouffle sur ses chansons et son personnage pour finalement pas grand chose... Puis c’est au tour de Patrick Watson, qui après les derniers réglages, entre tranquillement en scène avec ses acolytes, et fait sursauter tout le public en attaquant dans un tonitruant fracas. Entre les harmonies vocales et un timbre de voix proche de celui de Chris Martin, on pourrait craindre l’ennui ou la grandiloquence, mais ces Canadiens ont le grain de folie qui fait défaut aux bien trop sérieux Coldplay (sans parler de Muse !). Le Patrick Watson en question travaille sa voix au delay, violente son piano et ses claviers, le batteur joue de la scie et des casseroles, le guitariste gonfle un ballon de baudruche qu’il fait siffler devant les micros de sa guitare, et le bassiste… est en short ! Voilà un groupe qui mérite que l’on se penche de plus près sur leur album Close To Paradise


Autre groupe inventif, The Do poursuit sur la grande scène. Certains s’interrogeaient face à la démesure du buzz et un album inégal mais parsemé de réelles pépites ; en fin de compte, le duo dépasse les espérances. Accompagnés d’un batteur, Olivia Merilahti (guitare et chant), et Dan Levy (basse et claviers), maîtrisent leur sujet, et le passage au live sied plutôt bien à leurs compositions. Le public ne s’y trompe pas et le leur rend bien. Mais déjà il faut penser aux BellRays, une des affiches attendues du festival, pour le plus rock’n’roll des soleils couchants. Tandis que le bassiste chauffe le public, Bob Vennum, sous sa tignasse blond argent à la Jay Mascis de Dinosaur Jr, tire d’agressifs riffs de sa Gibson. Lisa Kekaula, perchée sur ses talons aiguilles et moulée dans une robe noire dont les échancrures dessinent des cuisses au galbe généreux, donne de la voix avec une facilité, une classe et un naturel déconcertants ; le batteur quant à lui est dans le ton de la journée, semble-t-il, et arbore un très seyant petit short ! Le groupe enchaîne sans répit devant un public visiblement impressionné.


Ce sont les Hives qui endossent sans complexe la responsabilité de prendre la suite, pour un show à leur démesure, avec leur nom en néon rouge derrière eux, visible depuis l’espace. Dans leurs traditionnels costumes noir et blanc, le groupe, mené par l’intenable, hurlant et sautillant Howlin’ Pelle Almqvist, envoie pied au plancher un punk-rock des plus régressifs, avec des titres aussi imparables que Walk Idiot Walk, ou Two-Timing Touch And Broken Bones.


Puis c’est au tour d’Adam Green de monter sur la scène Valette. Accompagné de deux choristes, Green, avec son allure de nerd dégingandé et son t-shirt à franges importé des sixties, se dandine tant bien que mal au milieu de ses musiciens pour faire patienter un public de plus en plus concentré sur l’objectif principal de la soirée : Iggy & The Stooges ! Leur nom était sur toutes les lèvres depuis le début de la journée… Et bien sûr leur entrée en scène soulève la foule. Mike Watt vient se coller à son énorme ampli basse, les frères Ashton, sous leurs casquettes, à leur place également : Scott, monolithique derrière les fûts, et Ron, à côté de son stack Marshall, tricotant avec un détachement tranquille des riffs teigneux et vénéneux ; et Iggy-1000Volts qui, bien sûr, ne tient pas en place. Une fois de plus, il semble avoir mis les doigts dans la prise avant de débouler, muscles tendus, plus bestial que jamais, poussant des grognements face à un public fasciné qui en redemande. Et déjà le ballet des roadies commence derrière lui entre les câbles et les pieds de micro virevoltants… Le set commence par les classiques (Loose, 1969, I Wanna Be Your Dog) et, comme toujours, No Fun est le moment où la scène se laisse envahir d’une trentaine de fans dans un joyeux foutoir. La suite fait la part belle aux morceaux plus récents comme Electric Chair ou My Idea Of Fun. Iggy semble insatiable, dansant – gesticulant – dans des convulsions désarticulées, même une fois ses complices partis. De retour sur scène, il pousse le vice jusqu’à offrir un deuxième I Wanna Be Your Dog en rappel, histoire d’enfoncer le clou, avant de quitter la scène en gambadant comme un gamin. Surréaliste et toujours aussi impressionnant !


Pour les survivants, il reste encore Peaches et son DJ set sur la petite scène, en attendant Birdy Nam Nam pour qui la grande scène se couvre d’un décor technoïde couvert de mystérieux chiffres lumineux.



« Cette année c’est Angoulême Rock City » prévenait Philippe Manœuvre dans le petit journal distribué aux festivaliers. Promesse tenue ! Touchée par la grâce, avec une programmation de haut vol, la Garden Nef Party était à coup sûr Le festival à ne pas manquer cet été. Désormais, une seule question demeure : sauront-ils réitérer le hold-up l’année prochaine ?


F.G.


27/08/2008


Les concerts parisiens débutent de plus en plus tôt. 19h30 : c’est le nouveau standard, presque l’aube, pour sonner le rassemblement des troupes. Et mieux vaut être à l’heure. Il est loin le temps où l’on trépignait d’impatience pendant une plombe, les uns au bar, les autres assis par terre, refaisant l’histoire en rock, entre vieux souvenirs de concerts et débats sur le dernier album du groupe en question. Le tout dans une salle consciencieusement enfumée (c’était à l’époque d’avant l’interdiction…), en attendant que les lumières daignent s’éteindre. Non, désormais, il faut pointer à 19h30 tapantes, pour entrer dans une salle, encore à moitié vide bien sûr, où la première partie a déjà commencé. Et ce soir, The Blakes, trio d’assez bonne tenue, tendance The Vines ascendant Strokes, se charge de l’accueil avec un volume sonore surgonflé.


Mais évidemment c’est le BJM que tout le monde attend sans se laisser distraire, sachant déjà que Joel Gion, l’indispensable « tambourine man » de toujours, croisé devant la salle, sera donc bel et bien présent, contrairement à leur précédent passage parisien, à l’Elysée Montmartre en octobre 2006. La tension commence à monter tandis que les roadies s’affairent à accorder les superbes guitares Vox vintage. Et c’est une salle pleine à craquer qui acclame généreusement chacune des silhouettes du groupe qui investissent la scène encore plongée dans le noir. Qu’il semble loin le temps du groupe underground méconnu… Le film « Dig ! », sorti en 2004, a sérieusement gonflé la légende et engendré une solide base de fans.

Anton Newcombe, l’insaisissable leader, est sur la gauche de la scène, comme à son habitude, tourné vers ses musiciens, presque dos au public. Il déclenche les hostilités de la meilleure des manières avec le magnifique Whoever You Are : le son est bon, le groupe en place, et Gion, au centre, joue le rôle de pivot avec un détachement impérial. En jeans des pieds à la tête, casquette de marin vissée sur le crâne, son illustre et rebondi postérieur légèrement tendu en arrière, il joue du tambourin avec souplesse, classe et décontraction.


Photo : Florian Garcia


La tornade psychédélique souffle dès le second titre, tout en guitares. Sept sur scène, ils produisent un son terriblement riche, avec trois guitares, parfois quatre, dont une 12-cordes, qui font tourbillonner les harmoniques. A la fin du morceau, Anton s’interrompt, trifouillant les pédales d’effets à ses pieds, avant de repartir de plus belle sur Who. Par la suite, les choses vont sérieusement se compliquer. Le concert sera ainsi une succession décousue de morceaux intenses, au son lumineux, et d’interruptions durant lesquelles Monsieur Newcombe, accroupi, s’évade lui seul sait où (et encore), boit un coup, fait réaccorder sa guitare… avant de la réaccorder lui-même !

Au bout d’une demi-heure, il abandonne ses camarades, laissant tout le monde dans l’expectative, suivi par Joel, qui réussit à le ramener sur scène. Anton semble parfois complètement perdu, ailleurs. Sa blonde platine islandaise petite amie vient en renfort pour chanter Anemone, puis repart comme elle est venue, embrassant son homme qui, décidemment, semble à côté de ses pompes. Point de voix féminine en revanche sur Evergreen, la merveilleuse chanson d’ouverture du premier album « Methodrone », qui y perd un peu de son charme.

Après une heure de concert, il s’éclipse à nouveau. Puis revient. A nouveau. D’aucun se demande s’il ne serait pas complètement bourré, ou défoncé. Ou les deux. Pourtant tout tient debout à chaque fois qu’il se décide à attaquer un morceau, et le groupe, solide, lui emboîte le pas au quart de tour, jusque dans de belles envolées psychédéliques. Et jusqu’à ce que la mayonnaise retombe à nouveau. Et que Newcombe, ne quitte une fois de plus la scène. Le groupe, habitué, meuble ses absences ; et Joel Gion fait diversion dans les moments de flottement. Charismatique, seul à communiquer avec le public, il finit par faire scander à une partie de l’assemblée des « Anton, I want an other song ! ».


On se quitte finalement avec un sentiment de frustration et un goût d’inachevé, l’impression qu’Anton peut vous prendre par la main et vous emmener dans son monde, dans son rêve, et vous abandonner en chemin sur le bord de la route, sans même s’en rendre compte (quoi qu’on pourrait aussi bien le soupçonner de trouver ça drôle). Difficile d’entrer pleinement dans un concert aussi chaotique… Mais n’est-ce pas aussi un peu ce que vient chercher le public ? Des concerts non calibrés et le fantasme d’un Newcombe toujours aussi autodestructeur, imprévisible et fascinant, échappant à tout contrôle, menaçant de déraper à tout moment, comme dans « Dig ! » ? Au-delà, Anton semble surtout désespérément seul, dans sa prison mentale, où les mélodies les plus divines se frottent aux sons les plus diaboliques, jusqu’à la folie.


F.G.


Photo : Florian Garcia


21/08/2008


Comment vous dire ? En fin de compte, tout est dans le titre. Mais bon sang, Lou Reed ! « Berlin » ! Y a quelqu’un ? 1973-2006 : 33 ans d’un vide intersidéral, un chef-d’œuvre absolu jamais joué sur scène. Jusqu’à cette providentielle résurrection, à Brooklyn, en décembre 2006. Depuis, il y a eu la tournée et son passage au Palais des Congrès en 2007 que beaucoup avaient manqué, et puis le film qu’en a tiré Schnabel, sorti dans quelques cinémas en mars dernier, mais cette fois-ci on y est, pour de vrai, salle Pleyel : du rock païen et décadent dans un sanctuaire du classique. En pénétrant ce vaisseau musical flambant neuf, l’auditeur est accueilli comme il se doit avec Like A Possum en toile sonore, morceau de bravoure guitaristique de l’album « Ecstasy », qui constitue une parfaite mise en condition, sur fond de mer déchaînée projetée sur le rideau blanc devant lequel trônent les amplis.


Mais c’est avec l’intro de piano que s’ouvre véritablement le bal, projetant instantanément le public dans Berlin. Le maître de cérémonie arbore une fois de plus une improbable guitare, toute de métal, à la forme hideuse et l’effet miroir. Mais il en tire, à chaque effleurement, d’imparables coups de tonnerre. « It was very nice »… A peine le temps d’enfourcher sa Telecaster et c’est Lady Day qui résonne, foudroyant, et ces coups de guitare qui transpercent le cœur, jusqu’aux larmes. C’est trop beau, trop fort, pour être vrai…

Et pourtant, les titres de l’album s’enchaînent, tel qu’il se doit, les uns après les autres, comme une évidence. Men Of Good Fortune, à la guitare acoustique, s’étoffe progressivement, et, sur la droite de la scène, une plantureuse choriste, toute de noir vêtue, vient donner de la voix, puissante et écorchée comme il faut... Suit Caroline Says I, au cours de laquelle Lou Reed se lance dans un lancinant combat de guitares avec Steve Hunter, appliqué, sous son bonnet vert, à tirer de son instrument des riffs lumineux et stratosphériques. Il n’en faut pas plus pour que tout le monde se jette à corps perdu dans un épique How Do You Think It Feels, au final apocalyptique.

Tony Smith, fidèle batteur, toujours aussi enthousiaste, fait alors retentir l’intro de Oh Jim !, et Reed décide de s’offrir un moment en suspens, une trêve, intime dialogue entre sa guitare, celle de Hunter et la très organique contrebasse électrique de Fernando Saunders. Caroline Says II se voit ensuite habillée de cordes chaudes et enveloppantes, et Caroline est froide comme l’Alaska...

The Kids est une lente montée du désespoir, « they’re taking her children away », jusqu’aux terribles sanglots des mômes de Bob Ezrin qui, 35 ans après leur enregistrement, donnent toujours cet irrépressible frisson, à vous mettre sens dessus dessous. A ce stade, on frise la surchauffe sous la chevelure fournie du petit reporter, tout accaparé qu’est son hémisphère gauche à n’en perdre aucune miette, tandis que son cerveau droit se répand en une intense jouissance par tous les canaux lacrymaux. Dans The Bed, Reed joue la carte du contraste entre la dureté de ses mots et la pureté des chœurs. Et comme si ça ne suffisait pas, l’intensité va encore redoubler, jusqu’à l’insoutenable, sur le final Sad Song qui atteint des sommets insoupçonnés.


C’est comme si l’on entendait « Berlin » pour la première fois, redécouvrant de plein fouet la noirceur et la dureté de ce joyau brut. Bien que terrassé, le public offre en retour une standing ovation et restera debout tout au long du rappel, libérant avec soulagement toute la tension, l’énergie et le souffle retenus, après le passage de cet orage magnétique à l’atmosphère lourde et suffocante. Les chœurs de Satellite Of Love sont accueillis avec un plaisir non dissimulé, comme un indispensable pallier de décompression pour sortir de cette plongée en apnée dans l’enfer de Caroline et Jim, dont nul ne ressortira indemne...


F.G.

17/08/2008


La fondation Cartier pour l’art contemporain aura accueilli cette année, du 28 mars au 22 juin, l’exposition Land 250, rassemblement foutraque de photos (au polaroïd Land 250) de dessins, de vidéos et autres objets fétichisés par celle qu’on ne présente pas.

C’est dans ce cadre qu’est organisé un concert (à Cartier, on dit « soirée nomade »), dans la salle même de l’expo, les vidéo projecteurs continuant de faire danser Madame sur les murs, devant un parterre VIP fait d’autant d’invités que de chanceux payeurs ayant réussi à se procurer une place. Claire Chazal papote avec cette huître de Marc-Olivier-Fogiel, Valéria Bruni-Sœur-de-l’autre cherche son beau Louis Garrel caché sous son bonnet rouge façon dandy-commandant Cousteau, et Isabelle Huppert ne me cherche pas puisque je suis juste à côté.


Ce sautillant petit public, vaguement bobo, est prêt à danser s’il le faut, et, bien sûr, tout acquis aux causes désespérées que la plus militante des poétesses continue de scander le poing serré, en vers, et contre tout. Et de fait, l’entrée en scène de madame Feu Fred Sonic Smith (son homonyme de mari donc, et accessoirement guitariste du MC5) soulève cris de joie et applaudissements, et c’est quand même la moindre des choses après tout, quand on sait recevoir. Surprise numéro un : on y voit comme en plein jour dans ce sous-sol, ce qui enlève un peu du côté cérémonie rock mais laisse aux amoureux le loisir de se regarder dans le blanc des yeux, parce que c’est quand même magique ce qu’on est en train de vivre, n’est-ce pas chéri ? Surprise numéro deux : les vieux routiers à moitié sourds qui s’étaient enfilé leurs petits bouchons pour protéger leurs petites oreilles à la première salve d’applaudissements se voient contraints de les retirer, because le son est plutôt faible, un peu comme dans un semblant de salon (celui-là même que les fauteuils en cuir installés à l’origine dans la salle d’expo étaient supposés reproduire, histoire qu’on se sente chez soi, elle est comme ça, Patti). Surprise numéro trois : l’intégralité du set sera acoustique, avec des guitare en bois, sans distorsion ni feed-back, comme à la maison, donc.

Bref, d’aucun dirait que ça pêche un peu côté atmosphère ; oui mais voilà, derrière le micro c’est Patti Smith, une fée électrique qui, avec sa seule voix, peut vous filer le frisson, les larmes aux yeux, l’envie de faire l’amour, ou de marcher sur Washington. Une voix toujours aussi fragile et puissante à la fois, du murmure à l’incantation, du râle au cri primal, psalmodiant ses textes avec l’énergie de l’espoir…


Et ce concert sera une fête, ou ne sera pas. Patti, plus souriante que jamais, est entourée de son fils Jackson et du fidèle Lenny Kaye aux guitares, d’un batteur et d’un bassiste/claviériste, tous dévoués à la prêtresse. Et durant une heure et demie on remonte le temps et le répertoire, entrecoupé d’hommages à Fred Smith et Bo Diddley, géant du blues tristement disparu quelques jours plus tôt, avec un Who Do You Love ? qu’elle pattismise et s’approprie pleinement. Les standards ne sont pas non plus écartés et le public reprend en choeur Because The Night et People Have The Power.


C’est elle qui tient les rênes, et tout le monde en haleine, elle est libre, et le temps semble avoir renoncé à s’en prendre à ce corps si à l’aise dans cette paire de jeans et cette veste noire (l’uniforme « Patti Smith »). Cabotine, enfantine, colérique, politique (soutien à Obama), révoltée, possédée, Patti Smith met une telle force dans ses gestes, dans sa voix, dans son art, qu’on ne peut y résister. Et on a envie d’y croire. Et avec elle, de « changer la merde en or »…


F.G.


13/08/2008


Flash-back : 1er mars 2007, nous sommes au concert des Black Keys à la Cigale. En ouverture, le public assiste médusé à la première prestation française d’une formation d’Austin, Texas, encore inconnue, mais au patronyme éminemment prometteur : The Black Angels… Une révélation. Depuis, Myspace et le Net ont fait leur office, l’excellent album « Passover » a atterri dans les bacs des meilleurs disquaires (disq-quoi ?) et alimenté les discussions les plus enflammées des accros au rock psychédélique d’aujourd’hui qui, décidément, se porte plutôt bien.


Un an plus tard, fin mars 2008, la rumeur d’un deuxième album se confirme (déjà !) : circulation des premiers titres, et annonce d’un concert, unique en France, le 9 mai, à la Maroquinerie donc.

La Maroquinerie : petit club à taille humaine mais température animale. Après une première partie assurée par les Molly’s, venus d’Amiens, le quintette fait son entrée devant un public d’initiés : des « vieux de la vieille », des jeunes arborant fièrement (à défaut de leur autorisation parentale) des t-shirts à l’effigie du Brian Jonestown Massacre ou du Black Rebel Motorcycle Club, et même une jeune hippie couronnée de fleurs blanches, et j’en passe. Un public rock en somme. Public de fans, conquis d’avance, pas là par hasard.


Pas de flottement : le groupe entre directement dans le vif du sujet et ne laissera pas le moindre répit durant une heure et demie, tout en puissance et intensité. Derrière la batterie, Stephanie Bailey martèle ses fûts avec une conviction sans faille : rythmiques lourdes, plombées, tribales. La blonde amazone est l’ange noir du groupe qui tient les rênes et apporte un supplément de moiteur érotique et sulfureuse.

Autour d’elle, les quatre autres musiciens tissent un rock hypnotique, apocalyptique, s’échangeant régulièrement les rôles derrière les guitares électriques, basses et autres claviers triturés d’effets. Sur la gauche de la scène, le guitariste Christian Bland torture avec application sa Rickenbaker, noyée de delay, tout en wah-wah hurlante et riffs sinueux. Non moins efficaces, Nate Ryan et Kyle Hunt assurent, de l’autre côté de la scène, une assise sonore ample, grondante, entêtante.

Alex Maas, le chanteur, assume quant à lui pleinement son rôle de frontman, avec désinvolture, sans pour autant tirer la couverture à lui. Chemise à carreaux, une casquette de gavroche vissée sur les yeux et la barbe lui dévorant le visage, il délivre un chant incantatoire, monocorde, imbibé de reverb, et ponctué de cris éructés à la manière d’un shaman. On pense bien sûr à Jim Morrison… Tantôt avec son indispensable tambourin, tantôt aux maracas, parfois derrière un vieux clavier italien sur lequel sont amoncelées diverses pédales d’effets, il prend pleinement part à l’élaboration de plages instrumentales violemment organiques.


Photo : Florian Garcia


Après avoir arpenté les deux albums et leurs titres les plus lancinants (Young Men Dead, Manipulation, Science Killer,…), les Black Angels vont clore le show par deux rappels avant de s’approprier I Wanna Be Your Dog des Stooges dans une version rampante et rugueuse, tortueuse et étirée... Hagard, le public se résigne finalement à regagner la surface, ivre de cette morsure de venin ardent.


F.G.

11/08/2008


Le BRMC est de retour en France, après la sortie de « Baby 81 », leur excellent quatrième album. Une messe noire psychédélique dans ce temple rock’n’roll qu’est l’Elysée Montmartre, cela ne se rate évidemment pas…

Et pourtant les éléments se déchaînent et font craindre le pire : c’est un de ces traditionnels jours de grève qui agitent le pays, qui lui, bien sûr, n’a que faire de ce concert. Circulation au pas du sud au nord de Paris, et déjà l’individu normalement constitué se retrouve submergé d’émotions – quitte à prendre la tête de son chauffeur car, bien entendu, on se déplace en bande pour aller voir le Black Rebel Motorcycle Club – brassant excitation fébrile et angoisse du retard : manquer leur entrée sur scène ne fait pas partie des options envisagées.


Arrivé sur place, tout va bien, les roadies sont encore à l’ouvrage… Si première partie il y a eu, celle-ci a laissé à qui de droit le temps d’arriver, et le soulagement est immense : le meilleur est à venir. La salle est encore loin d’être pleine, la communion a, pour ainsi dire, déjà commencé, dans la galère : chacun sa peine pour réaliser ce pèlerinage jusqu’au 18ème arrondissement. Bar, bières, stand de t-shirts : promenade en terrain connu, mise en condition… Oui, tout va bien.


La salle enfin remplie est plongée dans le noir, le trio déboule sur scène et c’est parti. D’une cohésion sans faille, ils ont décidé de jouer avec les tripes du public façon montagnes russes : après avoir entamé les hostilités dans une ambiance électrique, les deux alter ego du groupe s’offrent une trêve acoustique à mi-parcours, avant de repartir de plus belle pour une irrésistible remontée où la mélancolie laisse finalement place à l’énergie brute. Les morceaux sont dynamités, violentés, envoyés pied au plancher, lourds et foudroyants comme jamais.

Robert Levon Been joue les maîtres de cérémonie, dissimulé sous sa capuche et engoncé dans sa veste de cuir (défiant Fahrenheit et Celsius à la fois !), son énorme ampli en guise de piédestal. Sa basse, ronde et hypnotique, crée l’onde organique qui lie tous les atomes à la ronde. Peter Hayes, son jumeau vocal, en noir de la tête au pied également – of course –, envoie de terrifiantes stridences stroboscopiques, tout en guitares anguleuses et acérées. Quant au batteur, Nick Jago, il tient la baraque, donne la pulsation vitale, laissant ses deux comparses libres de passer leurs compositions à la tronçonneuse.

Le trio emplit l’espace avec un son surpuissant et réussit à maintenir la tension pendant près de deux heures. Malgré la vingtaine de titres joués, le temps manquerait presque pour visiter à la fois les incontournables de leur répertoire (Stop, Spread Your Love, Red Eyes And Tears, Whatever Happened To My Rock’n’Roll…) en même temps que leurs nouveaux titres (Berlin, Weapon Of Choice, All You Do Is Talk…). La foule est transportée, transpercée. Si les sons ont une couleur, alors la musique du BRMC, ce soir, est harassante de bruit jaune.


Avec cette imparable puissance de feu en live, le Black Rebel Motorcycle Club s’impose bel et bien comme des seigneurs de la guerre psychédélique ; rien ne manque : des chansons, ces deux voix qu’on dirait forgées dans le même métal, tantôt chaudes, tantôt écorchées, qui s’entremêlent, se répondent, et surtout ce son, qui va droit au corps, irrésistible, ample et brûlant.


F.G.